mercredi 15 décembre 2021

Quelle est la politique monétaire optimale quand l’économie connaît un choc d’offre temporaire et une inertie de la demande ?

Dans le sillage de la pandémie de Covid-19, l’inflation s’est accélérée ces derniers mois, en particulier aux Etats-Unis. Cette accélération s’explique par un rebond plus rapide de la demande globale que de l’offre globale, entraînant des phénomènes de goulots d’étranglement. Beaucoup, notamment au sein des banques centrales, estiment que l’épisode inflationniste est temporaire, dans la mesure où ils considèrent que les goulots d’étranglement devraient rapidement disparaît. D’autres, peut-être plus nombreux, se montrent plus pessimistes, craignant que les goulots d’étranglement persistent et/ou que ménages et entreprises augmentent fortement leurs anticipations d’inflation, conduisant à un véritablement emballement de l’inflation.

Au travers d’un modèle nouveau keynésien, Ricardo Caballero et Alp Simsek (2021b) ont étudié quelle est la politique monétaire optimale quand l’économie connaît des contractions temporaires de l’offre alors que la demande globale présente une inertie et que les taux d’intérêt sont contraints par une borne inférieure zéro. Dans un tel modèle, quand l’économie connaît un choc d’offre, il est habituellement optimal pour la banque centrale de relever ses taux pour contenir les pressions inflationnistes. Mais si ce choc d’offre s'opère alors même que la demande globale présente une inertie et que les taux d’intérêt sont contraints par une borne zéro, il apparaît optimal de laisser l’économie en surchauffe durant la contraction de l’offre.

En effet, avec l’inertie de la demande, les décisions de dépenses passées affectent les dépenses futures ; avec la contrainte d’une borne inférieure zéro, la banque centrale perd en marge de manœuvre pour assouplir sa politique monétaire, du moins en utilisant ses seuls taux. Par conséquent, lorsque la demande globale présente une inertie, laisser l’économie se retrouver en surchauffe quand l’offre est faible permet à ce que l’économie ait une plus forte demande une fois que l’offre aura rebondi. Avoir une plus forte demande lorsque l’offre a rebondi permet d’alléger la contrainte de la borne inférieure zéro et de stimuler la reprise de l’activité.

Une partie de la littérature avait développé l’idée d’une « divine coïncidence » pour la politique monétaire : les banques centrales feraient face à un arbitrage entre stabilisation de l’inflation et stabilisation de l’activité. Autrement dit, la politique monétaire parviendrait à stabiliser l’activité dès lors qu’elle stabilise l’inflation (Blanchard et Galí, 2007). Dans le modèle de Caballero et Simsek, une contraction de l’offre en présence d’une inertie de la demande et d'une borne inférieure zéro entraîne une rupture intertemporelle de la divine coïncidence : un écart de production positif durant la contraction de l’offre réduit l’écart de production négatif que l’on attend de voir émerger une fois que l’offre globale a rebondi. Dans le cas de Caballero et Simsek, les autorités monétaires font face à un arbitrage intertemporel entre l’inflation courante et la stabilisation des écarts de production futurs. En l'occurrence, elles pourraient tolérer un écart de production positif (donc un surcroît d'inflation) dans la période courante afin de réduire les écarts de production négatifs (et ainsi l'ampleur de la désinflation) dans le futur.

Toutefois, la modélisation de Caballero et Simsek ne les amène pas à conclure que la politique monétaire doit rester accommodante durant toute la phase de faible offre. Puisque la demande globale présente une inertie, la banque centrale doit baisser immédiatement et fortement ses taux lorsque la contraction de l’offre débute, mais ensuite rapidement remonter ses taux.


Références

BLANCHARD, Olivier, & Jordi GALÍ (2007), « Real wage rigidities and the new Keynesian model », Journal of Money, Credit and Banking, vol. 39, n° 1. 

CABALLERO Ricardo, & Alp SIMSEK (2021a), « Monetary policy and asset price overshooting: A rationale for the Wall/Main street disconnect », NBER, working paper, n° 27712. 

CABALLERO Ricardo, & Alp SIMSEK (2021b), « A note on temporary supply shocks with aggregate demand inertia », CEPR, discussion paper, n° 16814.