jeudi 22 juillet 2021

L’imposition du patrimoine favorise-t-elle l’égalité des chances ? Petite leçon norvégienne

Le capital fait son retour dans les pays développés [Piketty et Zucman, 2014]. Dans la mesure où il y a de fortes inégalités dans la détention du patrimoine, ce phénomène est susceptible d’accroître les inégalités de revenu, de réduire les inégalités des chances et d’alimenter la reproduction sociale. En effet, on a plus de chances d’accumuler du patrimoine et donc de gagner des revenus du patrimoine élevés quand nos parents en possèdent, notamment parce qu’ils peuvent plus facilement nous en transmettre, via les dons et l’héritage. Mais le niveau de patrimoine de nos parents est également susceptible d'influencer notre salaire. En effet, les familles aisées ont plus de latitude pour décider de leur lieu de résidence, ce qui influe sur la réussite scolaire des enfants : par exemple, ces familles peuvent plus facilement résider auprès des établissements scolaires les plus réputés ou donner à leurs enfants une chambre individuelle, c’est-à-dire un espace pour travailler au calme. Il n’est alors pas étonnant que la repatrimonalisation de la société alimente les débats autour des inégalités de patrimoine et autour des dispositifs susceptibles de les réduire, notamment l’imposition du patrimoine.

Dans une nouvelle étude, Kristoffer Berg et Shafik Hebous (2021) se sont demandé dans quelle mesure les inégalités de patrimoine d’une génération affectent la répartition du revenu du travail de la génération suivante. Ensuite, ils se sont demandé dans quelle mesure une taxation du patrimoine affecte ce lien entre inégalités de patrimoine et inégalités de revenu. 

Pour répondre à ces questions, Berg et Hebous se sont appuyés sur le cas norvégien. Comme dans les autres pays, le patrimoine s’avère fortement concentré en Norvège : en 2017, les 10 % les plus riches possédaient environ la moitié de l’ensemble du patrimoine. En outre, le cas de la Norvège est intéressant dans la mesure où elle est l’un des rares pays de l’OCDE qui taxe le patrimoine des individus, en l’occurrence depuis le début des années 1980. Le seuil à partir duquel le patrimoine est taxé s’élève actuellement à 1,5 million de couronnes norvégiennes, soit à peu près l’équivalent de 150.000 euros. Il est particulièrement faible, si bien qu’une part importante des contribuables est concernée par cet impôt. En 2017, environ 10 % des contribuables norvégiens étaient sujets à la taxation du patrimoine, contre 18 % en 1993.

Graphique. Patrimoine des parents, salaires et revenus du patrimoine

Focalisés sur les cohortes nées entre 1978 et 1980, Berg et Hebous ont observé le lien entre le niveau de patrimoine de leurs parents à la fin des années 1990 (période au cours de laquelle elles étaient dans l’enseignement secondaire) et leurs revenus du travail en 2010 et 2017 (période au cours de laquelle elles étaient adultes). Ils constatent que les personnes qui ont grandi dans des familles qui possédaient un important patrimoine tendent à avoir des revenus du travail plus élevés et une meilleure position dans la distribution des salaires (cf. graphique), et ce même une fois que l’on contrôle le niveau de diplôme et de revenus des parents et diverses caractéristiques individuelles comme le niveau de diplôme. Un patrimoine net de 1 million de couronnes en Norvège accroît les salaires annuels futurs des enfants d’environ 14.000 couronnes, toute chose égale par ailleurs. De plus, les résultats suggèrent que le niveau de patrimoine des parents influence la mobilité intergénérationnelle en termes de revenu du travail : les enfants des familles les plus aisées sont plus mobiles en termes de revenu du travail que les enfants issus des familles les plus modestes. Ces constats tendent à confirmer l’idée que le patrimoine exerce des effets intergénérationnels non seulement sur le revenu du patrimoine des enfants, mais aussi sur leur revenu du travail.

Ensuite, Berg et Hebous ont cherché à savoir ce à quoi ressemblerait aujourd’hui la répartition du revenu du travail en Norvège si ce pays n’avait pas taxé le patrimoine à partir des années 1990. Pour cela, ils ont estimé la répartition contrefactuelle des revenus en 2017 en l’absence de taxe sur le patrimoine. Leurs estimations suggèrent que l’imposition du patrimoine a réduit les inégalités du revenu du travail, en l’occurrence de 1 point de Gini.

 

Références

BERG, Kristoffer, & Shafik HEBOUS (2021), « Does a wealth tax improve equality of opportunity? », CESifo, working paper, n° 9174. 

PIKETTY, Thomas, & Gabriel ZUCMAN (2014), « Capital is back: Wealth-income ratios in rich countries 1700–2010 », The Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 3.