samedi 21 août 2021

Les conséquences macroéconomiques de la transition vers la neutralité carbone

Ces dernières semaines, les mégafeux qui ont touché plusieurs continents et la publication du nouveau rapport du GIEC ont rappelé l’extrême urgence de procéder à la décarbonation de l’économie : le monde devra atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour espérer limiter la hausse des températures à 2 °C. En faisant l’hypothèse optimiste que cet objectif sera atteint, Jean Pisani-Ferry (2021) s’est demandé quelles seront les répercussions macroéconomiques de cette transition écologique. 

Que ce soit directement via la taxation ou indirectement via la réglementation, la décarbonation implique de donner un prix à quelque chose qui était jusqu’à présent gratuit. Pisani-Ferry estime que le prix du carbone tourne actuellement autour de 10 dollars la tonne. Or, pour limiter la hausse des températures à 2 °C, la commission Stiglitz-Stern suggère que le prix du carbone devrait au minimum s’établir entre 40 et 80 dollars la tonne en 2020 et 50 et 100 dollars la tonne en 2030 (Carbon Pricing Leadership Coalition, 2017). Pour atteindre la proposition médiane de la commission Stiglitz-Stern, le prix du carbone devrait donc être immédiatement multiplié par six pour passer de 10 à 60 dollars la tonne, puis augmenter de façon à atteindre 75 dollars la tonne en 2030. Cela provoquerait un choc d’offre négatif de la même nature et de la même ampleur que le choc pétrolier de 1974 : comme ce dernier, la transition vers la neutralité carbone rendra obsolète une partie du capital plus rapidement qu’attendu, elle entraînerait la faillite d'une partie des entreprises, elle imposerait de réallouer une partie de la main-d’œuvre vers d’autres secteurs et elle accentuerait les pressions inflationnistes.

Il y a toutefois plusieurs différences entre le choc d’offre que constitue la transition écologique et les chocs pétroliers des années 1970. Tout d'abord, le choc pétrolier de 1974 n’a pas été anticipé, contrairement à la transition vers la neutralité carbone ; même si cette dernière tarde à être pleinement amorcée, les entreprises ont conscience depuis plusieurs décennies qu’elle finira tôt ou tard par prendre place, si bien qu’elles prennent en compte son éventualité lorsqu’elles procèdent à leurs investissements. En outre, les deux chocs diffèrent quant à leur impact sur la demande globale. En effet, les chocs pétroliers avaient redistribué les revenus des pays qui importaient du pétrole de pétrole aux pays qui en exportaient, or les seconds avaient une moindre propension à consommer que les premiers, ce qui avait aggravé la contraction de l’activité. En fait, il se pourrait qu’il y ait des effets positifs. Par exemple, la taxation du carbone et le resserrement de la réglementation environnementale sont susceptibles de déclencher une nouvelle vague d’avancées technologiques. Certaines d’entre elles vont d'ailleurs contribuer à réduire le coût de la décarbonisation. Malheureusement, les gouvernements ayant tardé à impulser la transition vers une économie neutre en carbone, celle-ci va devoir s'opérer de façon précipitée, si bien qu’il ne faut guère s’attendre à ce qu'elle ne détériore pas la production potentielle. 

Cela ne signifie pas pour autant que la transition vers la neutralité carbone déprimera la croissance économique. Les entreprises ayant à remplacer une partie de leur stock de capital, elle va en effet entraîner un boom de l’investissement. Les estimations de l’Agence internationale de l'énergie (2021), de la Commission européenne (2020), du Climate Change Committee (2020) au Royaume-Uni et du Fonds monétaire international (2021) amènent à prévoir un supplément d’investissement annuel autour de 2030 équivalent à 2 % du PIB. Un tel montant est loin d’être négligeable. Une telle impulsion de l’investissement ferait plus que compenser la baisse de l’investissement mondial observée depuis les années 1980. A cout terme, elle contribuerait à pousser le taux d’intérêt d’équilibre à la hausse et à stimuler la demande globale, ce qui bénéficierait tout particulièrement aux pays développés, confrontés à la stagnation séculaire. A moyen terme, elle pourrait soutenir les gains de productivité.

L’effet sur l’autre composante majeure de la demande globale, en l’occurrence la consommation, risque par contre d’être négatif. En limitant l’ampleur du changement climatique, la transition vers une économie neutre en carbone augmentera le bien-être des consommateurs à long terme. Mais à court terme, elle risque de le réduire : en effet, selon les estimations de Pisani-Ferry, elle implique d’amputer chaque année la consommation de l’équivalent de 3 % du PIB. 

Enfin, Pisani-Ferry s’est tourné sur les répercussions de la transition écologique sur les finances publiques. Dans la mesure où la taxation du carbone est régressive, c’est-à-dire pèse de façon disproportionnée sur les ménages modestes, les gouvernements devront financièrement soutenir ces derniers. Notamment pour financer ces revenus de transfert et les investissements publics nécessaires, la transition vers la neutralité carbone risque de se faire au prix d’un creusement de la dette publique, mais cela ne justifie pas de la retarder davantage : les générations futures préfèreront immanquablement hériter d’un climat préservé et d’une dette publique plutôt que d’un climat déréglé et de saines finances.


Références

AIE (2021), Net Zero by 2050: A Roadmap for the Global Energy Sector

Carbon Pricing Leadership Coalition (2017), Rapport de la Commission de haut niveau sur les prix du carbone, Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Association internationale de développement/La Banque mondiale.

Climate Change Committee (2020), The Sixth Carbon Budget: The UK’s Path to Net Zero 

Commission européenne (2020), 2030 Climate Target Plan Impact Assessment

FMI (2021), Reaching Net Zero Emissions

PISANI-FERRY, Jean (2021), « Climate policy is macroeconomic policy, and the implications will be significant », PIIE, policy brief, n° 21-20.