vendredi 27 août 2021

Quels effets attendre du vieillissement démographique sur les taux d’intérêt, le patrimoine et les déséquilibres mondiaux ?

La population mondiale vieillit rapidement : la part de la population âgée de plus de 50 ans est passée de 15 % à 25 % des années 1950 à aujourd’hui et, selon les prévisions des Nations unies, elle devrait atteindre les 40 % d’ici la fin du vingt-et-unième siècle.

 

Ce changement démographique a déjà et continuera d’avoir d’amples répercussions macroéconomiques. Le vieillissement de la population est considéré comme l’un des principaux facteurs ayant alimenté la hausse des ratios richesse sur PIB et la baisse des taux d’intérêt à travers le monde ces dernières décennies. Cela dit, il n’y a pas de consensus sur l’ampleur de sa contribution à cette dernière : si Etienne Gagnon et alii (2021) concluent que le vieillissement de la population a réduit les taux d’intérêt de moins d’un point de pourcentage depuis le début des années 1970, Gauti Eggertsson et alii (2019) estiment qu’il les a réduits plus de 3 points de pourcentage au cours de la même période. 

 

L’effet du changement démographique sur les évolutions ultérieures des taux d’intérêt est encore plus incertain : il n’y a même pas d’accord sur son sens. Certains comme Charles Goodhart et Manoj Pradhan (2020) estiment  que le vieillissement de la population va finir par pousser les taux d’intérêt à la hausse : c’est la théorie du « grand renversement démographique » (great demographic reversal). Ils se contentent finalement d’appliquer à grands traits la théorie du cycle de vie de Franco Modigliani : avec le vieillissement démographique, la part des personnes âgées dans la population augmente, or les personnes âgées tendraient à désépargner, donc, toute chose égale par ailleurs, le vieillissement démographique devrait réduire l’épargne agrégée et stimuler la demande globale, donc se révéler inflationniste.

Mais pour d’autres, comme Gagnon et alii (2021), les changements démographiques devraient au contraire continuer de pousser les taux d’intérêt à la baisse. En effet, ne serait-ce qu’en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de la montée des incertitudes qui lui sont associées, non seulement les personnes âgées ne cherchent pas forcément à dépenser toute leur épargne, mais en outre les actifs sont davantage incités à épargner. Ainsi, le vieillissement démographique devrait avoir pour effet de déprimer la demande globale, si bien qu’il se révèlerait désinflationniste. Il constitue d’ailleurs pour certains l’une des tendances lourdes confortant le scénario d’une stagnation séculaire pour les pays développés. 

En utilisant les prévisions démographiques et les données d’enquêtes réalisées auprès des ménages dans 25 pays, Adrien Auclert, Hannes Malmberg, Frederic Martenet et Matthew Rognlie (2021) ont cherché à quantifier les effets du vieillissement démographique au niveau mondial à partir d’un modèle de générations imbriquées. Leurs estimations les amènent à rejeter l’idée d’un grand renversement démographique. En effet, le vieillissement démographique devrait pousser à la hausse les ratios patrimoine sur PIB et réduire les rendements d’actifs tout au long du vingt-et-unième siècle : selon leurs estimations centrales, il devrait réduire les taux d’intérêts mondiaux de 1,25 point de pourcentage et augmenter le ratio patrimoine sur PIB mondial de 10 %, soit de l’équivalent de 47 points de PIB. Mais ses effets seront hétérogènes d’un pays à l’autre, de telle façon qu’il devrait creuser les déséquilibres globaux : si l’Inde et la Chine verraient leur position nette en actifs étrangers s’améliorer, des pays comme les Etats-Unis verraient la leur se dégrader. 


Références

AUCLERT, Adrien, Hannes MALMBERG, Frederic MARTENET & Matthew ROGNLIE (2021), « Demographics, wealth, and global imbalances in the twenty-first century », NBER, working paper, n° 29161.

EGGERTSSON, Gauti B., Neil R. MEHROTRA & Jacob A. ROBBINS (2019), « A model of secular stagnation: Theory and quantitative evaluation », American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 11, n° 1. 

GAGNON, Etienne, Benjamin K. JOHANNSEN & David LÓPEZ-SALIDO (2021), « Understanding the new normal: The role of demographics », IMF Economic Review, vol. 69.

GOODHART, Charles, & Manoj PRADHAN (2020), The Great Demographic Reversal: Ageing Societies, Waning Inequality, and an Inflation Revival, éditions Palgrave Macmillan.