jeudi 26 août 2021

La démocratie séduit… mais seulement lorsqu’elle est prospère ?

Ces dernières décennies, les pays développés semblent connaître une insatisfaction croissante de leurs citoyens à l’égard des institutions démocratiques et une montée des populismes, notamment d’extrême-droite. Toute une littérature, rassurante, s’est développée autour de l’idée qu’un pays est d’autant plus susceptible d’avoir un régime démocratique que son revenu par tête est élevé (Lipset, 1959). Malheureusement, certaines études suggèrent qu’une telle corrélation s’avère particulièrement fragile (Acemoglu et alli, 2008). 

Daron Acemoglu, Nicolás Ajzenman, Cevat Giray Aksoy, Martin Fiszbein et Carlos Molina (2021) se sont demandé si ceux qui ont vécu dans un régime démocratique étaient prédisposés à soutenir la démocratie et à s’opposer aux régimes autoritaires. En utilisant les données tirées d’une enquête menée dans plus de 110 pays, ils ont observé si, au sein de chaque pays, les cohortes qui ont été exposées le plus longuement à un régime démocratique tendaient davantage à déclarer soutenir la démocratie que les autres cohortes de ce même pays, d’une part, et les mêmes cohortes des autres pays (qui ont connu un autre calendrier d’instauration et de renversement de la démocratie), d’autre part. Ils constatent que les individus les plus longuement exposés à la démocratie tendent à présenter le plus fort soutien en faveur des institutions démocratiques et le moins de soutien en faveur d’un leader fort ou d’un régime militaire. 

Cette première analyse peut toutefois souffrir d’endogénéités et de causalités inverses. Acemoglu et ses coauteurs font toutefois deux constats supplémentaires suggérant que leurs résultats ne s’expliquent pas par des changements sociaux affectant à la fois la nature du régime politique et les attitudes politiques. D’une part, ils constatent que l’expérience démocratique d’un pays avant la naissance d’un individu n’affecte pas la propension de ce dernier à soutenir la démocratie plutôt que l’autoritarisme. D’autre part, ils notent que leur variable d’exposition à la démocratie n’affecte pas les réponses à diverses questions non politiques portant sur la famille et les voisins. En outre, Acemoglu et ses coauteurs retrouvent leurs résultats en observant un échantillon d’immigrés et en étudiant l’effet que peut avoir leur exposition à un régime démocratique avant leur migration. La causalité semble bien aller de l’exposition à un régime démocratique vers le soutien en faveur de la démocratie et non (seulement) du second vers la première.

Par contre, en creusant davantage, Acemoglu et ses coauteurs notent que l’exposition à la démocratie n’alimente véritablement le soutien en faveur de cette dernière que lorsque celle-ci s’est révélée efficace pour assurer la croissance économique, la paix, la stabilité politique et la fourniture de services publics.


Références

ACEMOGLU, Daron, Nicolás AJZENMAN, Cevat Giray AKSOY, Martin FISZBEIN & Carlos A. MOLINA (2021), « (Successful) democracies breed their own support », NBER, working paper, n° 29167. 

ACEMOGLU, Daron, Simon JOHNSON, James A. ROBINSON, & Pierre YARED (2008), « Income and Democracy », American Economic Review, vol. 98 n° 3.  

LIPSET, Seymour M. (1959), « Some social requisites of democracy: Economic development and political legitimacy », American Political Science Review, vol. 53, n° 1.