La littérature économique tend à conclure que l’accroissement de l’offre de travail provoquée par l’arrivée d’immigrés réduit à court terme le salaire des autochtones qui leur sont substituables [Borjas, 2003]. Mais notamment par crainte d’un tel effet, l’arrivée d’immigrés dans une zone donnée peut amener les natifs à rechercher un emploi ailleurs et/ou à déménager. Une telle réallocation géographique des autochtones atténue alors l’impact de l’immigration sur les salaires dans la zone d’emploi où s’intègrent les immigrés, mais elle diffuse alors le choc au-delà de cette seule zone. Une telle réaction complique la mesure des répercussions de l’immigration sur les salaires, et ce d’autant plus que les autochtones qui restent n’ont peut-être pas tout à fait les mêmes caractéristiques que ceux qui s’en vont.
Pour étudier comment l’arrivée d’immigrés affecte les salaires des autochtones au niveau local, Javier Ortega et Gregory Verdugo (2021) ont utilisé des données administratives françaises relatives à la période allant de 1976 à 2007. Ils constatent que l’immigration affecte la mobilité des natifs, en particulier de ceux à col bleu. En l’occurrence, une hausse de l’offre de travail dans une zone d’emploi donnée tirée par l’immigration est associée, d’une part, à une plus forte probabilité pour les autochtones de cette zone d’emploi d’occuper un emploi ailleurs et, d’autre part, à une moindre probabilité des autochtones provenant des autres zones d’emplois d’occuper un emploi dans celle-ci. Ce ne sont en l’occurrence pas n’importe quels natifs qui changent de zone d’emploi : par exemple, parmi les cols bleus qualifiés, ce sont ceux les moins rémunérés qui changent de zone d’emploi, ce qui a pour effet d’accroître le salaire moyen de celle qu’ils quittent.
En prenant en compte ces changements locaux dans la composition de la main-d’œuvre autochtone, Ortega et Verdugo constatent que la hausse de 1 point de pourcentage de l’offre de travail associée à l’immigration réduit d’environ 0,33 % le salaire journalier moyen des autochtones qui occupaient initialement un emploi qualifié de col bleu et d’environ 0,99 % celui des autochtones qui occupaient initialement un emploi non qualifié de col bleu.
Enfin, Ortega et Verdugo se sont demandé si la réallocation géographique permet aux autochtones d’atténuer la baisse de leurs salaires. Ils constatent que les natifs qui changent de zone d’emploi perdent davantage en termes de salaire journalier que ceux qui ne déménagent pas, mais cet effet est en partie compensé par le fait qu’ils accroissent le nombre de jours qu’ils travaillent au cours de l’année.
Références