samedi 5 février 2022

Les Gilets jaunes, les croyances pessimistes et l’aversion à la taxe carbone

Le mouvement des Gilets jaunes a été amorcé par le projet d’introduction d’une taxe environnementale au prix des carburants, dans un contexte où ce dernier avait fortement augmenté. Même si une minorité de la population française a participé à ce mouvement et si ses participants ont inclus de façon disproportionnée des sympathisants d’extrême-gauche et d’extrême-droite, il a bénéficié d’un large soutien parmi l’ensemble de la population.

Une interprétation de ce mouvement et du soutien dont il fit l’objet pourrait être que la population française s’inquiète davantage de son pouvoir d’achat que du changement climatique. Thomas Douenne et Adrien Fabre (2020) notent toutefois qu’une grande majorité de la population française est consciente du changement climatique, qu’elle s’en inquiète et qu’elle soutient des mesures de politique d’atténuation des gaz à effet de serre. En outre, la population française ne semble pas présenter une disposition à payer une taxe carbone différente de celle des autres populations.

Douenne et Fabre (2022) ont cherché dans une nouvelle étude à comprendre comment les croyances relatives à la taxe carbone se forment et déterminent les attitudes vis-à-vis de celle-ci. Pour cela, ils se sont appuyés sur une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif composé de 3.002 ménages français : ces derniers ont été soumis à la proposition d’une hypothétique taxe carbone dont le montant s’élèverait à 50 euros la tonne de CO2 et dont les recettes fiscales seraient redistribuées de façon uniforme à chaque adulte.

Il apparaît que seulement 10 % des répondants se montrent en faveur d’un tel dispositif ; 70 % des répondants le rejettent. Douenne et Fabre constatent que les répondants surestiment les pertes monétaires occasionnées par la mesure fiscale et qu’ils la perçoivent comme régressive : alors que 70 % des répondants bénéficieraient du dispositif fiscal selon les simulations de Douenne et Fabre, seulement 14 % des répondants estiment qu’ils en bénéficieraient. En outre, la majorité des répondants déclarent ne pas croire qu’un tel dispositif contribuerait à contenir le changement climatique. Il apparaît en outre que les personnes les plus opposées à ce dispositif et en particulier celles qui soutiennent les Gilets jaunes sont les plus enclines à surestimer leurs pertes monétaires.

La question qui se pose alors est de savoir si ce sont les croyances pessimistes qui entraînent un rejet de la mesure fiscale ou si la causalité opère en sens inverse. Pour essayer de le déterminer, Douenne et Fabre ont étudié quels effets avait l’attribution de nouvelles informations : les répondants ont reçu de façon aléatoire des informations à propos de la progressivité, de l’efficacité environnementale de la mesure fiscale et de l’impact qu’elle aurait sur leur situation personnelle.

D’un côté, en observant l’hétérogénéité des réponses, Douenne et Fabre concluent que les croyances influent sur l’adhésion à la mesure fiscale : si les citoyens étaient convaincus de la véritable incidence de la taxe et de son efficacité, le soutien en sa faveur augmenterait fortement. En l’occurrence, celui-ci tiendrait tout particulier à l’intérêt personnel : le fait de croire que la réforme bénéficie à la situation personnelle des répondants contribue tout particulièrement à accroître leur adhésion. 

Malheureusement, il apparaît que les nouvelles informations ne parviennent généralement pas à changer les croyances pessimistes. Pire, les répondants révisent leurs croyances de façon asymétrique en donnant plus de poids à une nouvelle information quand elle suggère qu’elle les pénaliserait plutôt que lorsqu’elle suggère qu’elle les avantagerait. Et ceux qui se révèlent initialement en faveur de la mesure fiscale sont les plus susceptibles de corriger leurs croyances dans le bon sens, tandis que ceux qui y sont les plus opposés tendent à écarter toute nouvelle information sauf si elle va dans leur sens.

Reste la question de savoir à quoi tient fondamentalement ce pessimisme. Douenne et Fabre ne creusent pas davantage la question, mais suggèrent qu’elle pourrait avant tout tenir à la défiance vis-à-vis des autorités publiques ; certains travaux ont effectivement constaté que les politiques climatiques adoptées dans un pays tendaient à être d’autant plus ambitieuses que sa population nourrit de la confiance (Rafaty, 2018). Tant que la défiance persistera, l’éventail de mesures d’atténuation susceptibles de recueillir le soutien de la majorité de la population s’en trouvera fortement limité.

 

Références

DOUENNE, Thomas, & Adrien FABRE (2020), « French attitudes on climate change, carbon taxation and other climate policies », Ecological Economics, vol. 169. 

DOUENNE, Thomas, & Adrien FABRE (2022), « Yellow vests, pessimistic beliefs, and carbon tax aversion », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 14, n° 1. 

RAFATY, Ryan (2018), « Perceptions of corruption, political distrust, and the weakening of climate policy », Global Environmental Politics, vol. 18, n° 3.