mardi 1 février 2022

Quelle est la politique monétaire optimale quand la reprise est déséquilibrée ?

La reprise post-pandémique se singularise par son caractère déséquilibré : la demande de biens, notamment manufacturés, est forte, mais la demande de services reste déprimée, en particulier ceux qui nécessitent des relations physiques de face-à-face avec la clientèle. En effet, ces services sont particulièrement exposés aux mesures restrictives adoptées par les autorités pour freiner l’épidémie et particulièrement affectés par le comportement de distanciation physique adopté par les consommateurs, notamment par crainte de la contagion. En conséquence, l’économie mondiale connaît une réallocation de la demande en faveur des biens (cf. graphique). Ce rééquilibrage entraîne notamment des goulots d’étranglement et se traduit par une accélération de l’inflation.

A partir d’un modèle keynésien avec plusieurs pays et plusieurs secteurs, Luca Fornaro et Federica Romei (2022) ont étudié quelle est la politique monétaire optimale lorsque la demande mondiale pour les produits échangeables est exceptionnellement élevée relativement à celle des produits non échangeables. Ils concluent que, dans un tel contexte, la politique monétaire optimale implique une hausse de l’inflation, dans la mesure où celle-ci est nécessaire pour réallouer la production vers le secteur produisant des produits non échangeables. En effet, le choc de réallocation déprime la demande de produits non échangeables, ce qui pousse les entreprises qui les produisent à réduire leur production et à licencier une partie de leurs effectifs. Pour contenir la hausse subséquente du chômage, les banques centrales doivent assouplir leur politique monétaire pour faciliter la réallocation de la main-d’œuvre du secteur produisant les produits non échangeables vers le secteur produisant les produits échangeables.

Une hausse des prix des produits échangeables, alimentée par l’assouplissement monétaire, permet d’atteindre deux objectifs. D’une part, la hausse des prix va pousser les entreprises du secteur produisant des produits échangeables à embaucher et à accroître leur production. D’autre part, la hausse de leur production va permettre aux agents d’augmenter leur consommation de produits échangeables ; comme la demande de produits échangeables émanant des ménages est alors mieux satisfaite, ces derniers vont aussi augmenter leur demande de produits non échangeables, si bien que l’assouplissement monétaire permet également de stimuler l’emploi dans le secteur produisant des produits non échangeables.

Or, Fornaro et Romei concluent également que que les banques centrales risquent de ne pas adopter la politique monétaire qui serait optimale. En effet, les coûts en termes d’inflation sont entièrement supportés par l’économie domestique, tandis que le reste du monde bénéficie d’une partie des gains associés à une plus forte offre de produits échangeables. Autrement dit, il y a des effets de débordement internationaux. L’économie mondiale risque alors de se retrouver piégée dans un équilibre non coopératif sous-optimal : en l’absence de coopération internationale, les banques centrales ne vont pas internaliser les effets de débordement pour prendre leurs décisions en matière de politique monétaire et se contenter de réagir simplement à l’inflation domestique. En l'occurrence, elles risquent d’adopter une politique monétaire excessivement restrictive au regard de ce qui serait optimal pour le bien-être mondial, en limitant excessivement l’offre mondiale de produits échangeables, ce qui freinerait la reprise de l’activité économique de chaque pays pris individuellement.


Référence

FORNARO, Luca, & Federica ROMEI (2022), « Monetary policy during unbalanced global recoveries », CEPR, discussion paper, n° 16971.