La banque centrale réagit habituellement à une récession ou à une inflation excessivement faible en réduisant ses taux directeurs. Or, ses taux peuvent se retrouver à zéro sans pour autant qu’elle parvienne à suffisamment soutenir l’activité économique et à ramener l’inflation à sa cible. Le fait que l’inflation et en conséquence les taux d’intérêt aient été extrêmement faibles ces dernières décennies a accru le risque que les taux directeurs se retrouvent contraints par leur borne inférieure zéro (zero lower bound). Une telle situation s’est présentée au Japon au cours des années 1990, dans l’ensemble des pays développés suite à la crise financière mondiale de 2008 et encore plus récemment lors de l’épidémie de Covid-19. Pour assouplir malgré tout davantage leur politique monétaire, les banques centrales ont eu recours à des mesures « non conventionnelles » : par exemple, elles ont procédé à des achats à grande échelle de titres publics dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et certaines d’entre elles ont fixé des taux directeurs légèrement négatifs.
Boris Hofmann, Marco Lombardi, Benoît Mojon et Athanasios Orphanides (2021) ont étudié au prisme d’un modèle les interactions entre les politiques monétaire et budgétaire lorsque les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure zéro. Lors des récessions, cette dernière déprime davantage l’activité économique et par conséquent l’inflation. Or, si l’inflation reste extrêmement faible, les ménages et les entreprises risquent de réviser leurs anticipations d’inflation à la baisse, ce qui augmente la probabilité que l’économie bascule dans la déflation et connaisse un processus de déflation par la dette (debt-deflation).
Lorsque les taux d’intérêt se retrouvent à zéro lors d’une récession, Hofmann et ses coauteurs estiment que l’assouplissement quantitatif peut en partie se substituer à la baisse des taux d’intérêt et qu’il peut même permettre à la banque centrale de maintenir l’inflation au plus près de sa cible si elle l’utilise agressivement. En outre, l’assouplissement quantitatif permet indirectement de stimuler l’activité économique en réduisant les primes de risque sur les taux d’intérêt de long terme : il allège les coûts de refinancement du gouvernement et contribue à maintenir la dette publique sur une trajectoire stable, ce qui donne davantage de marge de manœuvre au gouvernement pour qu’il assouplisse sa politique budgétaire. Lorsque les taux directeurs sont contraints par leur borne zéro, une relance budgétaire couplée à l’assouplissement quantitatif contribue à la fois à la stabilité macroéconomique et à la stabilité budgétaire. Si en outre la banque centrale fixe des taux directeurs légèrement négatifs, cela réduit l'ampleur de l'assouplissement quantitatif auquel elle devra procéder.
Outre le risque que la banque centrale soit trop timide dans l’usage de l’assouplissement quantitatif, Hofmann et ses coauteurs jugent contreproductif que le gouvernement se préoccupe davantage de la stabilisation de la dette publique que de la stabilisation macroéconomique. En effet, la hausse de la dette publique lors des récessions est susceptible d’inciter le gouvernement à resserrer hâtivement sa politique budgétaire : l’austérité budgétaire freine alors la reprise de l’activité économique sans pour autant ramener la dette publique sur une trajectoire plus stable et en imposant à la banque centrale de recourir plus amplement à l’assouplissement quantitatif.
En définitive, la coordination des politiques monétaire et budgétaire s’avère particulièrement cruciale dans un monde de faibles taux d’intérêt.
Référence