jeudi 23 décembre 2021

Dans quelle mesure les ménages augmentent leur épargne en réaction à une relance budgétaire ?

Plusieurs facteurs sont susceptibles de réduire l’efficacité d’une relance budgétaire. L’un d’eux est le comportement « ricardien » prêté aux ménages. En l’occurrence, si l’Etat s’endette pour financer une relance budgétaire, les ménages risquent d’anticiper un accroissement des impôts qu’ils devront payer dans le futur, donc ils risquent de réagir dans la période courante en accroissant leur épargne. La baisse de l’épargne publique est alors en partie, voire totalement, compensée par une hausse de l’épargne privée neutralisant les effets  de la relance sur la demande globale. C’est l’idée d’« équivalence ricardienne », développée à partir des années 1970 par le nouveau classique Robert Barro (1974, 1989). Selon ce dernier, la compensation est totale et donc la relance entièrement neutralisée. Mais sa conclusion dépendait de plusieurs hypothèses fortes, notamment celles de ménages à durée de vie infinie et de marchés financiers parfaits.

Plusieurs travaux empiriques ont cherché à jauger l’hypothèse d’équivalence ricardienne ou, tout du moins, à déterminer dans quelle mesure l’efficacité des relances budgétaires se trouve atténuée par le comportement des ménages en matière d'épargne. Un tel exercice est notamment compliqué par un problème d’endogénéité : les gouvernements cherchent précisément à relancer l’activité lorsque la demande globale est faible, donc lorsque le secteur privé cherche à augmenter son épargne. 

Dans l’une des études les plus récentes et les plus abouties sur le sujet, Oliver Röhn (2010) décelait un effet compensatoire de l’épargne privée d’environ 40 % en observant des données allant jusqu’à 2008. Cet effet se révèle bien sûr très hétérogène d’un pays à l’autre. En poursuivant son analyse, Röhn avait noté que c’est la hausse de l’investissement public qui entraînait la moindre hausse compensatrice de l’épargne. Cette dernière est par contre d’autant plus élevée que la dette publique est importante, ce qui suggère que les ménages anticipent d’autant plus que le gouvernement cherchera à assainir les finances publiques que celles-ci sont initialement dégradées. 

Dans une nouvelle étude de la BCE, Cristina Checherita-Westphal et Marcel Stechert (2021) ont étudié la relation entre politique budgétaire et épargne des ménages dans les 19 pays-membres de la zone euro sur la période allant de 1999 à 2019. Ils constatent que les expansions budgétaires sont associées à une hausse du taux d’épargne des ménages dans la zone euro, ce qui va en partie, mais pas totalement, dans le sens de l’équivalence ricardienne. En l’occurrence, la hausse compensatoire de l’épargne est d’environ 19 % à court terme et de 41 % à long terme.  Même si certains scénarios de leur modélisation ne les amènent pas à exclure une compensation complète à long terme, la plupart des élasticités auxquelles Checherita-Westphal et Stechert aboutissent sont bien inférieures à l’unité. En définitive, ils rejettent l’existence d’une version stricte de l’équivalence ricardienne dans la zone euro, c’est-à-dire d’une pleine compensation de la relance budgétaire à court terme.


Références

BARRO, Robert J. (1974), « Are government bonds net wealth? », Journal of Political Economy, vol. 82. 

BARRO, Robert J. (1989), « The Ricardian approach to budget deficits », Journal of Economic Perspectives, vol. 3, n° 2. 

CHECHERITA-WESTPHAL, Cristina, & Marcel STECHERT (2021), « Household saving and fiscal policy: Evidence for the euro area from a thick modelling perspective », BCE, working paper, n° 2633. 

RÖHN, Oliver (2010), « New evidence on the private saving offset and Ricardian equivalence », OCDE, economics department working paper, n° 762.