mercredi 22 décembre 2021

Les justifications données par les banques centrales influencent-elles les effets de leurs achats d'actifs ?

Les effets d’une mesure de politique monétaire diffèrent-ils selon les justifications données par la banque centrale en les adoptant ? Cette question est importante pour la conduite de la politique monétaire. Les banquiers centraux et de nombreux économistes estiment que ses effets transitent notamment, voire même essentiellement, via son impact sur les anticipations ; l’annonce même d’une mesure exercerait des effets en signalant les intentions ultérieures de la banque centrale, sa fonction de réaction (Woodford, 2005 ; Blinder et alii, 2008). Ce canal du signal se révélerait particulièrement important lorsque les taux d’intérêt nominaux sont contraints par leur borne inférieure effective, comme ce fut le cas dans le sillage de la crise financière mondiale : quand la banque centrale ne peut davantage réduire ses taux directeurs, elle peut toujours essayer d’influencer les anticipations pour stimuler davantage l’activité.

Pour voir si les justifications données par une banque centrale influencent les effets de sa politique monétaire, Christophe Blot, Caroline Bozou, Jérôme Creel et Paul Hubert (2021) ont étudié les effets des programmes d’achats d’actifs menés par la BCE, en l’occurrence les programmes PSPP et PEPP. Ces derniers consistaient en l’achat d’actifs essentiellement similaires, mais les objectifs affichés par la BCE lorsqu’elle les a adoptés n’ont pas été les mêmes. Adopté en janvier 2015, le Programme d’achats de titres du secteur public (Public Sector Purchase Programme ou PSPP) visait à réduire le risque de déflation : le taux d’inflation était alors bien inférieur à 2 % et l’on craignait qu’il baisse davantage. Le Programme d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme ou PEPP) a quant à lui été adopté en mars 2020 afin de réduire les tensions sur les marchés des obligations publiques : avec l’épidémie de Covid-19 qui venait tout juste d’éclater, les taux d’intérêt des obligations publiques de certains Etats-membres avaient significativement augmenté, laissant craindre une répétition de la crise de l’euro survenue une décennie plus tôt.

Blot et ses coauteurs ont alors observé les effets de ces deux programmes sur les swaps d’inflation et les spreads sur les obligations publiques. Ils constatent que les swaps d’inflation ont été positivement influencés par le PSPP, mais pas par le PEPP. Le PSPP a négativement influencé les spreads sur les obligations publiques, mais l’effet est bien moindre que celui exercé par le PEPP. Ces constats suggèrent qu’en donnant une justification pour ces deux programmes, la BCE a signalé quelles variables entraient dans sa fonction de réaction, si bien que ses annonces ont affecté les variables en question. Cette interprétation est cohérente avec le constat selon lequel la première annonce de chacun de ses programmes a eu un plus large impact que les annonces ultérieures, ce qui suggère que les marchés ont instantanément actualisé leurs croyances à propos de la fonction de réaction de la banque centrale.

En définitive, Blot et ses coauteurs concluent que deux programmes d’achats d’actifs peuvent être mis en œuvre avec des effets différents, si bien qu’un même instrument peut atteindre deux objectifs différents, ce qui n’est guère le cas avec les taux d’intérêt.


Références

BLINDER, Alan, Michael EHRMANN, Marcel FRATZSCHER, Jakob De HAAN & David-Jan JANSEN (2008), « Central bank communication and monetary policy: A survey of theory and evidence », Journal of Economic Literature, vol. 46, n° 4.

BLOT, Christophe, Caroline BOZOU, Jérôme CREEL & Paul HUBERT (2021), « Are all central bank asset purchases the same? Different rationales, different effects », OFCE, working paper, n° 2021/29. 

WOODFORD, Michael (2005), « Central bank communication and policy effectiveness », conférence de Jackson Hole.