dimanche 5 décembre 2021

Quel a été l’impact du télétravail sur le bien-être individuel pendant les confinements ?

L’un des plus probables héritages à long terme de la pandémie de Covid-19 pourrait être un recours plus fréquent télétravail. Dans les pays de l’OCDE, ce dernier ne concernait qu’une infime partie des travailleurs, en l’occurrence entre 3 et 5 % d’entre eux, avant qu’apparaisse le coronavirus. Mais au printemps 2020, dans la plupart des pays, les autorités ont appelé les travailleurs à travailler un maximum à partir du domicile pour réduire les déplacements et freiner ainsi la propagation de l’épidémie. Au Royaume-Uni, par exemple, un tiers des travailleurs occupés ont ainsi brutalement basculé dans le télétravail. Le maintien d’un recours plus massif au télétravail au sortir de la pandémie dépendra, du côté de la demande de travail, de son impact sur la productivité et, du côté de l’offre de travail, de son impact sur le bien-être des travailleurs (Barrero et alii, 2021).

L’impact du télétravail sur le bien-être individuel est ambigu. D’un côté, le télétravail peut renforcer l’autonomie des travailleurs, permettre à ces derniers de gérer plus librement leur emploi du temps et ainsi par exemple de mieux gérer leurs contraintes familiales, libérer du temps disponible en réduisant le temps de transport, un surcroît de temps libre que les télétravailleurs peuvent consacrer aux loisirs et/ou à la vie de famille, leur permettre de choisir plus librement leur lieu de résidence et potentiellement de s’éloigner plus facilement des zones où les prix de l’immobilier sont élevé, etc. En s’épargnant les trajets domicile-travail, les télétravailleurs s’épargnent une activité que les analyses empiriques ont reconnue comme étant nocive à leur santé et à leur bien-être (Künn-Nelen, 2016). 

D’un autre côté, le télétravail peut détériorer les relations avec les collègues, nuire à l’esprit d’équipe, exposer les télétravailleurs à l’isolement, brouiller les frontières entre travail et vie personnelle, conduire les employeurs à chercher à accroître la charge de travail, limiter les perspectives de carrière des télétravailleurs, creuser les inégalités entre hommes et femmes dans le partage des tâches domestiques, etc.

Des études réalisées avant la pandémie à partir d’expériences localisées ont suggéré que le télétravail pouvait améliorer la productivité et le bien-être des travailleurs, mais elles ont pu souffrir d’un biais de sélection et il est difficile de généraliser les leçons qu’elles peuvent offrir (Bloom et alii, 2015). Elles suggèrent toutefois que l'effet du télétravail sur le bien-être individuel dépend de plusieurs facteurs, notamment de la disposition d'un espace de travail tranquille chez soi, du caractère volontaire ou imposé du télétravail, de la présence d'enfants, etc. Dans le cas du déploiement massif du télétravail dans le sillage de la pandémie de Covid-19, les premières études empiriques ont suggéré que celui-ci avait eu un effet négatif sur le bien-être, en particulier pour les femmes, mais ces études n’ont pas clairement distingué les effets propres au travail des effets de la récession ou de la peur d’être contaminé. Mais lorsque les mesures de confinement ont été relâchées plusieurs enquêtes ont montré qu’une grande majorité des travailleurs ne désirait pas venir physiquement sur leur lieu de travail cinq jours par semaine.

Guillaume Gueguen et Claudia Senik (2021) ont cherché à déceler les effets du télétravail sur la satisfaction des travailleurs en utilisant une enquête longitudinale menée auprès des ménages britanniques à un rythme annuel, sauf au cours de l’année 2020 où elle fut répétée en quatre vagues : en avril, en juillet, en septembre et en décembre. Les réponses permettent ainsi de voir plus finement les effets des confinements, qui ont été instaurés au Royaume-Uni du 26 mars au 23 juin 2020, puis du 5 novembre au 2 décembre 2020. Les détails du sondage permettent de prendre en compte des facteurs comme la peur de la contagion et la récession, ainsi que plusieurs caractéristiques des travailleurs et de leur emploi. Le fait que l’usage du télétravail ait été brutalement imposé permet de contourner les problèmes d’auto-sélection des individus. 

Au terme de leur analyse, Gueguen et Senik concluent que le télétravail exerce un effet positif sur la satisfaction du vivre, en particulier pour les hommes et ceux qui n’ont pas d’enfants à la maison. L’impact moyen du télétravail sur la santé mentale n’est pas statistiquement significatif, mais cela dissimule des effets dynamiques et hétérogènes. En l’occurrence, le télétravail semble détériorer la santé mentale au cours du premier mois, mais l’impact devient ensuite progressivement positif, comme les télétravailleurs s’adaptent à la nouvelle situation. L’essentiel des effets positifs est observé chez les personnes en couple : les célibataires ont souffert du passage au télétravail. 


Références

BARRERO, Jose Maria, Nicholas BLOOM & Steven J. DAVIS (2021), « Why working from home will stick », NBER, working paper, n° 28731. 

BERTONI, Marco, Danilo CAVAPOZZI, Giacomo PASINI & Caterina PAVESE (2021), « Remote working and mental health during the first wave of COVID-19 pandemic », IZA, discussion paper, n° 14773. 

BLOOM, Nicholas A., James LIANG, John ROBERTS & Zhichun Jenny YING (2015), « Does working from home work? Evidence from a Chinese experiment », The Quarterly Journal of Economics, vol. 130, n° 1. 

GUEGUEN, Guillaume, & Claudia SENIK (2021), « Adopting telework. The causal impact of working from home on subjective well-being in 2020 », PSE, working paper, n° 2021-65. 

KÜNN-NELEN, Annemarie (2016), « Does commuting affect health? », Health Economics, vol. 25, n° 8.