mercredi 23 juin 2021

Portrait de la mobilité intergénérationnelle à travers le monde

S’appuyant sur les données individuelles tirées de 400 enquêtes couvrant 153 pays et 97 % de la population mondiale nées dans les années 1980, Roy van der Weide, Christoph Lakner, Daniel Gerszon Mahler, Ambar Narayan et Rakesh Ramasubbaiah (2021) ont cherché à dresser le portrait mondial de la mobilité intergénérationnelle. Pour 87 % de la population mondiale, leur base de données leur permet d’observer les tendances en matière de mobilité intergénérationnelle pour les individus nés de 1950 à 1989.

En l’occurrence, Van der Weide et ses coauteurs se sont focalisés sur la mobilité intergénérationnelle dans l’éducation. Plusieurs raisons les ont amenés à le faire. Tout d’abord, l’accumulation du capital humain joue un rôle clé dans le bien-être individuel, et ce pas seulement parce qu’il influence la qualité de l’emploi qu’occupe un individu ou son niveau de salaire. Deuxièmement, les données intergénérationnelles relatives à l’éducation sont plus facilement disponibles que celles relatives au revenu. En l’occurrence, les individus peuvent plus facilement indiquer avec précision le niveau d’éducation de leurs parents. Troisièmement, il y a moins de difficultés méthodologiques à estimer la mobilité éducationnelle : par exemple, contrairement avec le revenu, lorsqu’un individu atteint un niveau d’éducation, il ne peut revenir à un niveau inférieur. 

Van der Weide et ses coauteurs constatent que la mobilité absolue dans l’éducation, c’est-à-dire la part de répondants obtenant un niveau d’éducation supérieur à celui de leurs parents, est plus élevé dans les pays développés que dans les pays en développement, malgré le fait que le niveau d’éducation des parents soit déjà plus élevé dans les premiers que dans les seconds (cf. graphique). La mobilité relative, qui mesure le degré d’indépendance entre la durée de scolarisation des parents et celle des enfants, apparaît également plus élevée dans les pays développés que dans les pays en développement.

Graphique - Part de la cohorte en mobilité intergénérationnelle absolue ascendante

La relation entre mobilité intergénérationnelle et revenu national n’est en fait pas monotone : la mobilité relative est en moyenne plus élevée dans les pays les plus pauvres et les plus riches, ce que Van der Weide et ses coauteurs expliquent comme suit. Dans les pays les plus pauvres, une grande majorité de parents est pauvre et n’a pas d’éducation. Quand le niveau d’éducation et de revenu augmente dans un pays, les écarts entre pauvres, classes moyennes et classes aisées tendent à se creuser. Sans interventions publiques, les trajectoires d’éducation vont commencer à diverger selon leur origine sociale, ce qui tend à réduire la mobilité intergénérationnelle. Puis, à partir d’un certain niveau de revenu, l’accroissement de ce dernier s’accompagne d’une hausse de la mobilité intergénérationnelle, notamment parce qu’une part croissante du revenu national est consacrée à la redistribution et aux services publics, notamment à l’éducation publique.

Van der Weide et ses coauteurs ont ensuite cherché à relier la mobilité intergénérationnelle avec une variété de caractéristiques des pays, autres que leur niveau de revenu. Leur analyse suggère que les taux de mobilité sont d’autant plus élevés (i) que les recettes fiscales et les dépenses publiques, en particulier dans l’éducation, sont importantes ; (ii) que les indicateurs en matière de santé des enfants sont élevés ; (iii) que la qualité des écoles est élevée, en l’occurrence que le nombre d’élèves par enseignant et le nombre d’échecs scolaires sont faibles et (iv) que la ségrégation résidentielle est faible, c’est-à-dire où les ménages tendent à vivre au voisinage de ménages aux niveau de revenu et aux origines ethniques différents du leur. Ce dernier constat avait déjà été noté par Raj Chetty et alii (2014) dans le cas des Etats-Unis et il dénote l’importance des effets de pairs dans la réussite scolaire.

 

Références

CHETTY, Raj, Nathaniel HENDREN, Patrick KLINE, and Emmanuel SAEZ (2014), « Where is the land of opportunity? The geography of intergenerational mobility in the United States », The Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 4.

VAN DER WEIDE, Roy, Christoph LAKNER, Daniel Gerszon MAHLER, Ambar NARAYAN & Rakesh RAMASUBBAIAH (2021), « Intergenerational mobility around the world », Banque mondiale, policy research working paper, n° 9707.