mardi 29 juin 2021

Les désastres naturels conduisent-ils à une relocalisation de la production ? L'exemple du séisme au Japon en 2011

L’épidémie de Covid-19 a rappelé la dépendance de chaque pays au commerce extérieur et notamment la nature internationalisée et très fragmentée des chaînes de valeur : dans la mesure où les différentes tâches de production d’un bien peuvent impliquer de très nombreux pays, les difficultés de production touchant un pays peuvent affecter aussi bien les entreprises et pays situés en amont de la chaîne d’approvisionnement, en les exposant à des pénuries, que les entreprises et pays situés en aval de celle-ci, en les exposant à une chute de la demande [Boehm et alii, 2019]. Ainsi, dans le sillage de la pandémie, beaucoup appellent ou s’attendent à une relocalisation de nombreuses unités de production au sein des pays développés, notamment en ce qui concerne la production de produits stratégiques et vitaux comme le matériel médical [Javorcik, 2020 ; Kilic et Marin, 2020]. D’autres doutent d’un bouleversement des chaînes d’approvisionnement [Antràs, 2020 ; Baldwin, 2020]. 

Afin de comprendre les répercussions à long terme des désastres naturels pour les chaînes de valeur mondiales et en tirer d’éventuelles leçons pour la période post-pandémique, Caroline Freund, Aaditya Mattoo, Alen Mulabdic et Michele Ruta (2021) ont observé l’évolution du commerce en automobiles et électronique du Japon dans le sillage du séisme qui le toucha en 2011. Le tremblement de terre et le tsunami qu’il provoqua avaient non seulement détruit des infrastructures et provoqué la mort d’environ 16.000 personnes sur le territoire nippon, mais aussi profondément perturbé les chaînes de d'approvisionnement. A l’époque, le choc avait par exemple amené Honda, Opel, Nissan et General Motors à stopper leur production. Le secteur électronique avait également été très perturbé, dans la mesure où le Japon était spécialisé dans la production d’intrants comme les connecteurs, microphones et capteurs et où il n’y avait guère de substituts.

En examinant les importations d’automobiles et d’électronique dans les 15 plus grands pays producteurs d’automobiles et les 15 plus grands exportateurs de produits électroniques finaux, Freund et ses coauteurs constatent que les pays qui étaient les plus dépendants des fournisseurs japonais avant le séisme connurent par la suite de plus amples baisses des importations de produits japonais : il y a bien eu une reconfiguration partielle des chaînes d’approvisionnement. Cela dit, le commerce de biens intermédiaires s’est trouvé moins pénalisé que le commerce de biens finaux. Le choc ne semble avoir amené les entreprises ni à relocaliser, ni à diversifier leur production pour réduire les risques. Les importateurs les plus exposés au Japon avant le séisme de 2011 ont en fait accru leurs importations totales. Il ne semble guère que les chaînes d'approvisionnement se soient davantage régionalisées ou que les importateurs aient cherché à trouver des fournisseurs qui leur soient plus proches géographiquement. Les firmes ont remplacé les fournisseurs du Japon par des fournisseurs localisés dans des pays en développement, en l'occurrence les plus gros. 

Freund et ses coauteurs rejoignent ainsi Antràs et Baldwin en concluant que l’épidémie de Covid-19 aura un impact bien moindre qu’on ne s’y attend sur les chaînes de valeur mondiales. L’une des différences entre le séisme japonais et la crise sanitaire est que celle-ci ne s’est pas accompagnée d’une destruction du capital physique, ce qui réduit les incitations à la relocalisation de la production. 

 

Références

ANTRÀS, Pol (2020), « De-globalisation? Global value chains in the post-COVID-19 age », NBER, working paper, n° 28115. 

BALDWIN, Richard (2020), « Thinking ahead on COVID-19 and GVCs », 22 avril. 

BOEHM, Christoph, Aaron FLAAEN & Nitya PANDALAI-NAYAR (2019), « Input linkages and the transmission of shocks: Firm-level evidence from the 2011 Tōhoku earthquake », The Review of Economics and Statistics, vol. 101. 

FREUND, Caroline, Aaditya MATTOO, Alen MULABDIC & Michele RUTA (2021), « Natural disasters and the reshaping of global value chains », Banque mondiale, policy research working paper, n° 9719. 

JAVORCIK, Beata (2020), « Global supply chains will not be the same in the post-COVID-19 world », in CEPR, COVID-19 and Trade Policy: Why Turning Inward Won’t Work

KILIC, Kemal, & Dalia MARIN (2020), « How COVID-19 is transforming the world economy », VoxEU, 20 mai.