Les crises financières constituent un problème endémique pour les économies de marché ; la crise financière mondiale de 2008 et la crise de la dette publique en périphérie de la zone euro 2010 ont rappelé que les pays développés n’étaient pas préservés de tels événements. Et ce rappel a été particulièrement douloureux. En effet, les crises financières endommagent significativement et durablement l’activité économique : cette dernière ne parvient guère à suffisamment rebondir suite à une crise financière pour revenir à la trajectoire qu’elle suivait avant que celle-ci n’éclate. En l’occurrence, la production reste généralement inférieure de 8 à 9 % par rapport à sa trajectoire d’avant-crise [Cerra et Saxena, 2008 ; FMI, 2009 ; Reinhart et Rogoff, 2009].
Au vu des dommages économiques provoqués par les crises financières, il semble justifié que les gouvernements interviennent dans leur sillage, en l’occurrence pour éviter que de tels événements ne se reproduisent. Mais, comme le notent Orkun Saka, Yuemei Ji et Paul De Grauwe (2021) dans une nouvelle étude, de telles interventions peuvent aussi répondre à des motifs purement politiques. Tout d’abord, les gouvernements peuvent se sentir obligés d’intervenir pour sauver le système bancaire afin de ne pas être sanctionnés dans les urnes par les classes moyennes, tant ces dernières sont très soucieuses de l’épargne qu’elles ont placée [Chwieroth et Walter, 2019]. Ensuite, si la crise financière est perçue par la population comme étant le produit de la libéralisation financière, donc d’une insuffisance de la réglementation financière, les gouvernements peuvent se sentir contraints de resserrer cette dernière [Dagher, 2018].
Selon ces deux premiers motifs, les gouvernements agissent pour aller dans le sens de ce qui leur apparaît être d’intérêt public, mais il est également possible qu’ils interviennent pour satisfaire des intérêts privés : ils peuvent chercher à tirer avantage de la situation pour adopter de nouvelles politiques qui favorisent les préférences du secteur financier au détriment de celles de la collectivité. Cela risque d'autant plus d'être le cas si les dirigeants politiques entretiennent des liens, notamment personnels, avec les dirigeants politiques ou s'ils cherchent à planifier une nouvelle carrière dans le secteur privé à la fin de leur mandat politique. Bref, même dans le domaine financier, les autorités publiques peuvent finir par être capturées par les entités privées qu’elles sont censées réguler [Stigler, 1971 ; Couppey-Soubeyran, 2015].
En utilisant une base de données couvrant 94 pays sur la période allant de 1973 à 2015, Saka et ses coauteurs notent que les crises financières amènent effectivement souvent les gouvernements à intervenir sur les marches financiers pour procéder à reréglementation, mais ces interventions ne sont pas systématiques. Après crise, les interventions ne surviennent que dans les pays démocratiques, ce qui laisse penser de prime abord que les gouvernements interviennent dans un souci de préserver l’intérêt public.
Mais en creusant davantage, Saka et ses coauteurs notent que les dirigeants des pays démocratiques qui ne semblent a priori pas avoir d’inquiétudes en matière de réélection (par exemple, lorsque le nombre de mandats est limité et que les dirigeants en place ne peuvent briguer un nouveau mandat en raison de cette contrainte institutionnelle) sont bien davantage susceptibles d’intervenir sur les marchés financiers après les crises financières, ce qui suggère que les dirigeants sont loin d'être préservés des intérêts privés.
Références
CHWIEROTH, Jeffrey M., & Andrew WALTER (2019), The Wealth Effect: How the Great Expectations of the Middle Class Have Changed the Politics of Banking Crises, Cambridge University Press.
COUPPEY-SOUBEYRAN, Jézabel (2015), Blablabanque, Michalon.