samedi 5 juin 2021

Quels sont les coûts politiques de l’adoption de mesures climatiques ?

Les gouvernements peinent à adopter des mesures de politique d’atténuation des gaz à effet de serre suffisamment ambitieuses pour espérer contenir la hausse des températures d’ici 2100 en-deçà des 2 °C comme le prévoit l’Accord de Paris signé il y a maintenant plus de cinq ans. En conséquence, c’est bien le scénario d’une hausse de 4 °C vers lequel nous semblons nous diriger, et ce en supposant qu’il n’y ait pas de phénomènes d’emballement.

Cet atermoiement face à l’urgence climatique a quelque chose d’aberrant au regard de la logique économique, a fortiori si l’objectif d’une poursuite de la croissance économique n’est pas abandonné. En effet, si le changement climatique n’est pas contenu, c’est l’équivalent d’un quart du PIB mondial qui s’en trouverait amputé d’ici 2100 selon les estimations même du FMI. Certes, ce seront les pays en développement qui subiront le plus le changement climatique [Dell et alii, 2012], mais les pays développés n’en seront pas non plus épargnés [Kahn et alii, 2019]. En outre, le coût à long terme du changement climatique dépasse le coût à court terme des mesures qui sont susceptibles de le contenir [Stern, 2008]. Enfin, à mesure que le temps passe, les coûts tendent à augmenter, dans la mesure où les efforts à consentir pour stabiliser la hausse des températures à un niveau donné sont d’autant plus grands que le stock de gaz à effet de serre accumulé dans l’atmosphère est important [Burke et alii, 2015].

Si les gouvernements tardent à lutter contre le changement climatique, c’est peut-être notamment parce que, comme toute réforme structurelle, la politique environnementale est susceptible de leur être coûteuse politiquement. Davide Furceri, Michael Ganslmeier et Jonathan Ostry (2021) ont cherché à déterminer si c'est effectivement le cas, en s'appuyant notamment sur les données relatives au soutien en faveur du gouvernement en place et sur l’indicateur de sévérité de la politique environnementale proposé par l’OCDE.

Ils constatent que les politiques climatiques n’ont pas nécessairement un coût politique. Certes, leur mise en œuvre tend à dégrader le soutien en faveur du gouvernement qui les adopte, mais ce n’est vraiment le cas que pour les mesures s’appuyant sur le marché, notamment la taxation des émissions de gaz à effet de serre, non les mesures comme la réglementation environnementale. Autrement dit, les populations tendent à rejeter les mesures que les économistes tendent à considérer comme les plus efficaces. La réglementation environnementale ne constitue peut-être qu’un second best, mais elle apparaît véritablement plus simple à adopter. 

Ensuite, Furceri et ses coauteurs constatent que le coût politique des mesures environnementales s’avère d’autant plus faible que la contribution des énergies sales à la production est réduite et celle des énergies propres élevée, notamment parce que ces mesures sont susceptibles de détruire des emplois dans les secteurs polluants et parce que l’existence de secteurs verts facilite la réallocation de la main-d’œuvre des premiers vers les seconds. Il n’apparaît en outre guère significatif lorsque les mesures climatiques sont mises en œuvre durant des périodes au cours desquelles les prix du pétrole sont faibles, lorsque l’assurance sociale est généreuse et les inégalités faibles. Autrement dit, elles semblent davantage acceptées lorsque les perdants qu’elles sont susceptibles de créer peuvent être compensés.


Références

BURKE, Marshall, Solomon M. HSIANG & Edward Miguel (2015), « Global nonlinear effect of temperature on economic production », Nature, vol. 527. 

DELL, Melissa, Benjamin F. JONES & Benjamin A. OLKEN (2012), « Temperature shocks and economic growth: Evidence from the last half century », American Economic Journal: Macroeconomics, vol. 4, n° 3. 

FURCERI, Davide, Michael GANSLMEIER & Jonathan D. OSTRY (2021), « Are climate change policies politically costly? », FMI, working paper, n° 21/156. 

KAHN, Matthew E., Kamiar MOHADDES, Ryan N. C. NG, M. Hashem PESARAN, Mehdi RAISSI & Jui-Chung YANG (2019), « Long-term macroeconomic effects of climate change: A cross-country analysis », FMI, working paper, n° 19/215. 

STERN, Nicholas (2008), « The economics of climate change », American Economic Review, vol. 98, n° 2.