mardi 31 octobre 2023

Comment les chocs d’offre sur l’inflation se généralisent-ils ?

Alors que l’inflation était restée faible et stable en 2020, elle a commencé à augmenter début 2021. Suite à la première vague de confinement au printemps 2020, la demande a rapidement rebondi, stimulée notamment par le soutien budgétaire des gouvernements et les politiques monétaires accommodantes. Les nouvelles vagues épidémiques et le maintien de mesures sanitaires ont ensuite continué de contraindre l’offre, comme le montre la hausse de la part d’entreprises déclarant souffrir de problèmes d’approvisionnement et de contraintes en matière de travail (Celasun et al., 2022 ; di Giovanni et al., 2022 ; Finck et Tillmann, 2022). Les prix de l’énergie ont commencé à augmenter en 2021, pour ensuite exploser l’année suivante avec la reprise de l’invasion russe de l’Ukraine.

En étudiant la dynamique de l’inflation dans la zone euro suite aux premiers temps de la pandémie, Viral Acharya, Matteo Crosignani, Tim Eisert et Christian Eufinger (2023) font plusieurs constats : tout d’abord, les secteurs les plus touchés par les contraintes d’approvisionnement ont eu tendance à être marqués par la plus forte hausse des prix à la production, ce qui conforte l’idée d’une inflation par les coûts ; il y a eu une corrélation positive entre les contraintes d’approvisionnement et les anticipations d’inflation des ménages ; il y a eu une généralisation de l’inflation à des marchés qui n’étaient pas initialement exposés aux contraintes d’approvisionnement ; les entreprises présentant le plus haut pouvoir de marché ont eu tendance à accroître le plus amplement leur marge, en particulier dans les marchés avec une forte demande ; enfin, les entreprises avec un fort pouvoir de marché ont été capables de maintenir, voire accroître, leurs marges lorsque les anticipations d’inflation étaient élevés, même une fois que les contraintes d’approvisionnement se sont dissipées. 

Acharya et ses coauteurs développent l’idée que les ménages peuvent présenter une faible élasticité-prix dans un environnement d’inflation croissante et des anticipations d’inflation élevées et visqueuses. En l’occurrence, avec les changements plus fréquents des prix, il est plus compliqué pour les ménages de comparer les prix ; et il leur apparaît moins rentable de les comparer lorsqu’ils anticipent une plus forte inflation. Par conséquent, les entreprises qui disposent d’un pouvoir de marché peuvent maintenir, voire augmenter, leurs marges de profit sans craindre de perdre significativement en profits. 

Ils proposent alors le récit suivant de la généralisation de l’inflation dans la zone euro. Initialement, les pressions sur les chaînes d’approvisionnement ont conduit à une hausse des coûts de production, ce qui a entraîné une hausse de l’inflation, mais aussi un relèvement des anticipations d’inflation. Ensuite, les coûts ont continué d’augmenter dans la mesure où les entreprises disposant d’un fort pouvoir de marché ont augmenté leurs marges, en particulier dans les secteurs connaissant une forte demande. Enfin, alors même que les pressions sur les chaînes d’approvisionnement se dissipaient, ces entreprises ont pu continuer d’augmenter leurs marges en raison de la viscosité des anticipations d’inflation. Ainsi, des chocs d’offre localisés, en l’occurrence les perturbations des chaînes d’approvisionnement, ont interagi avec les anticipations d’inflation des ménages et le pouvoir de marché des entreprises pour conduire à une généralisation de l’inflation.

Acharya et ses coauteurs tirent de leur analyse plusieurs implications en termes de politique économique. Lorsque l’inflation a commencé à augmenter en 2021, les banques centrales ont initialement toléré un niveau plus élevé d’inflation, en supposant que les chocs d’offre étaient temporaires. Cela n’aurait toutefois été efficace que si les anticipations d’inflation restent ancrées. Les banques centrales doivent peut-être réagir rapidement et agressivement leur politique monétaire dès que les anticipations d’inflation commencent à manifester des signes de désancrage. Ensuite, la capacité des entreprises jouissant d’un pouvoir de marché à profiter des problèmes d’approvisionnement et du relèvement des anticipations d’inflation pour relever leur prix plaide pour un resserrement de la politique de la concurrence. 

 

Références

ACHARYA, Viral V., Matteo CROSIGNANI, Tim EISERT & Christian EUFINGER (2023), « How do supply shocks to inflation generalize? Evidence from the pandemic era in Europe », NBER, working paper, n° 31790.

CELASUN, Oya, Niels-Jakob HANSEN, Aiko MINESHIMA, Mariano SPECTOR & Jing ZHOU (2022), « Supply bottlenecks: Where, why, how much, and what next? », FMI, working paper, n° 22/31.

FINCK, David, & Peter TILLMANN (2022), « The macroeconomic effects of global supply chain disruptions », BOFIT, discussion paper, n° 2022-14.

GIOVANNI, Julian di, Ṣebnem KALEMLI-ÖZCAN, Alvaro SILVA & Muhammed A. YILDIRIM (2022), « Global supply chain pressures, international trade, and inflation », NBER, working paper, n° 30240.