dimanche 29 octobre 2023

Quand la hausse des prix du carburant déclenche-t-elle des conflits sociaux ?

Malgré les progrès (encore bien timides) vers la neutralité carbone, les carburants fossiles demeurent la principale source d’énergie. Ils n’ont guère de substitut et répondent à des besoins jugés essentiels. Une hausse du prix des carburants ne détériore pas seulement le pouvoir d’achat des ménages et la rentabilité des entreprises (ce qui en fait d’ailleurs un facteur de propagation de l’inflation) ; elle contraint la mobilité géographique en alourdissant les coûts de transport. En conséquence, elle est susceptible d’alimenter des conflits sociaux (Natalini et al., 2020 ; McCulloch et al., 2022). C’est fréquemment le cas des pays en développement, comme par exemple Haïti en juillet 2018, le Zimbabwe en janvier 2019 et le Nigeria en septembre 2020, mais les pays développés n’en sont pas épargnés, comme l’illustre le mouvement des gilets jaunes en France il y a cinq ans. Parfois, les mobilisations provoquées par les hausses du prix des carburants entraînent de véritables révolutions : ce fut le cas en Birmanie en 2007 ou plus récemment au Sri Lanka en mai 2022.

Toutes les fortes hausses des prix des carburants n’entraînent toutefois pas de conflits sociaux. Certains contextes semblent plus favorables que d’autres pour que les premières débouchent sur les seconds. Alassane Drabo, Kodjovi Eklou, Patrick Imam et Kangni Kpodar (2023) ont utilisé les données relatives à 101 pays en développement pour la période allant de 2001 à 2020 afin d’observer comment les hausses du prix du carburant sont susceptibles d’alimenter les conflits sociaux. Ils ont cherché à déterminer quels facteurs macroéconomiques, sociaux et institutionnels influent sur cette relation. 

Drabo et al. constatent que les prix du carburant sont positivement corrélés avec le nombre de conflits sociaux, en particulier les manifestations contre le gouvernement, mais guère d’autres formes d’actions protestataires comme les grèves et les actes terroristes. En outre, le risque qu’une hausse du prix du carburant soit suivie de troubles sociaux augmente durant les périodes de ralentissement économique et lorsque le taux de change est volatile ; quand les dépenses publiques sont faibles, en particulier dans la santé et l’éducation ; dans les pays où les inégalités de revenu sont élevées, les institutions de faible qualité et le niveau de corruption élevé. Ces résultats sont les mêmes dans le cas des hausses du prix de l’essence que dans celui des prix du diesel.

Pour Drabo et ses coauteurs, la théorie des ressources et la théorie des opportunités politiques n’offrent pas un cadre idoine pour comprendre les conflits générés par les hausses des prix des carburants : selon la première, de tels conflits seraient peu fréquents dans les pays en développement en raison de leur coût d’opportunité élevé, tandis que, selon la seconde, ils seraient surtout fréquents dans les régimes démocratiques. Or, ils sont au contraire relativement fréquents dans les pays en développement et peu fréquents dans les pays démocratiques.

Cependant, leurs constats vont dans le sens des théories de la frustration relative et du grief, selon lesquelles les populations se lancent dans des actions contestataires quand elles jugent une situation comme injuste. En l’occurrence, il est davantage probable qu’une hausse du prix des carburants déclenche des mobilisations contestataires si elle est perçue par les ménages les plus vulnérables comme injuste alors même qu’ils bénéficient peu des dépenses publiques.

 

Références

DRABO, Alassane, Kodjovi M. EKLOU, Patrick A. IMAM & Kangni KPODAR (2023), « Social unrests and fuel prices: The role of macroeconomic, social and institutional factors », FMI, working paper, n° 23/228. 

MCCULLOCH, Neil, Davide NATALINI, Naomi HOSSAIN & Patricia JUSTINO (2022), « An exploration of the association between fuel subsidies and fuel riots », in World Development, vol. 157.

NATALINI, Davide, Giangiacomo BRAVO & Edward NEWMAN (2020), « Fuel riots: Definition, evidence and policy implications for a new type of energy-related conflict », in Energy Policy, vol. 147.