Ce dernier demi-siècle a été marqué par la fragmentation et l’internationalisation des chaînes d'approvisionnement : les processus productifs ont eu tendance à être divisés en un nombre toujours plus important de tâches et une part croissante de ces tâches a été réalisée, voire externalisée, à l’étranger. Mais ces dernières années, les chaînes de valeur ont été fortement perturbées par l’épidémie de Covid-19 et les mesures adoptées par les autorités en vue de la contenir, ainsi que par la montée des tensions géopolitiques, notamment la rivalité sino-américaine et l’invasion russe de l’Ukraine. Avec ces perturbations, se sont multipliés les appels à relocaliser une partie de la production à proximité (« near-shoring ») et dans des pays amis (« friend-shoring ») pour sécuriser les approvisionnements. En conséquence, les chaînes de valeur ont eu tendance à se reconfigurer.
Han Qiu, Hyun Song Shin et Leanne Si Ying Zhang (2023) ont cartographié les reconfigurations en cours des chaînes de valeur internationales. En observant les relations d’approvisionnement pour un échantillon mondial d’entreprises du secteur manufacturier, ils ont comparé la configuration des chaînes d’approvisionnement en décembre 2021 avec leur configuration en septembre 2023.
Ils ont constaté que la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers a fortement chuté entre les deux dates. La réduction des liens transfrontaliers directs s’est accompagnée d’une hausse des liens transfrontaliers indirects, dans la mesure où de nouveaux nœuds d’entreprises se sont interposés dans les chaînes de valeur existantes. En conséquence, la « distance », c’est-à-dire le nombre d’intermédiaires, entre les entreprises en amont et celles en aval dans un réseau a eu tendance à s’allonger. Qiu et ses coauteurs confirment les observations de Laura Alfaro et Davin Chor (2023) en notant que l’allongement des chaînes de valeur a été particulièrement prononcé dans le cas des relations sino-américaines : des entreprises d’autres pays, essentiellement asiatiques, se sont interposées entre les fournisseurs chinois et les clients américains, si bien que le découplage entre l'économie chinoise et l'économie américaine a été davantage apparent que réel. Cet allongement de la distance entre entreprises ne s’est pas accompagné d’une hausse de la densité du réseau, si bien que l’on ne peut guère conclure en une plus grande diversification des relations d’approvisionnement.
Ces changements s’opèrent dans un contexte où les chaînes de valeur avaient tendance à s’intégrer davantage au niveau régional. Qiu et ses coauteurs ne décèlent pas d'éléments suggérant que cette tendance à un approfondissement de l’intégration régionale soit remise en cause, en particulier en Asie.
Références