L’inflation a fortement augmenté dans le sillage de l’épidémie de Covid-19. C’est notamment le cas aux Etats-Unis où les administrations Trump et Biden ont adopté d’importants plans de soutien budgétaire pour amortir les répercussions économiques de la pandémie. Certains, comme Larry Summers (2021) et Olivier Blanchard (2021), ont rapidement exprimé leurs craintes quant au risque inflationniste d’une telle stimulation : la demande globale étant stimulée alors même que l’offre était contrainte, le PIB risquait d’être supérieur à son potentiel et les prix s’ajusteraient alors à la hausse.
Ces économistes craignaient que les pressions inflationnistes proviennent du marché du travail, exceptionnellement tendu. Elles sont en fait apparues sur les marchés des produits (Ball et al., 2021 ; Bernanke et Blanchard, 2021). Les marges de profit ont explosé et ce n’est qu’ultérieurement que la croissance des salaires nominaux a accéléré, si bien que les salaires réels ont initialement chuté (cf. graphique). Plus récemment, beaucoup se sont inquiétés qu’une spirale prix-salaires s’amorce : leur pouvoir d’achat diminuant avec la hausse des prix, les travailleurs seraient susceptibles de négocier plus agressivement des hausses de salaires nominales pour maintenir leur salaire réel, mais cela alourdirait les coûts de production des entreprises et amèneraient ces dernières à relever de nouveau leurs prix de vente, ce qui entretiendrait l’inflation (Blanchard, 1986).
Dans une analyse qu’ils ont présentée lors de la récente conférence de la Brookings, Guido Lorenzoni et Iván Werning (2023) ont considéré l’actuel épisode inflationniste au prisme d’un modèle néo-keynésien. Ce dernier comporte des rigidités des prix et des salaires et un intrant dont l’offre est inélastique. Aussi bien des chocs d’offre que des chocs de demande peuvent exercer des contraintes sur l’offre et celles-ci jouent un rôle essentiel dans la dynamique de l’inflation.
Le modèle produit un ajustement des prix nominaux en trois temps. Tout d’abord, il y a une forte hausse du prix de l'intrant inélastique (par exemple de l’énergie), avant que celui-ci ne baisse graduellement. Dans un deuxième temps, il y a une période d’inflation généralisée. Enfin, il y a une hausse plus faible, mais plus durable, de la croissance des salaires nominaux. Une spirale prix-salaires peut apparaître en raison de la divergence entre le salaire réel accepté par les entreprises et celui revendiqué par les salariés : les entreprises cherchent à réduire le salaire réel pour compenser la hausse du prix relatif de l’intrant inélastique, tandis que les salariés veulent maintenir, voire accroître le salaire réel.
Selon le modèle de Lorenzoni et Werning, la hausse des salaires nominaux qui se produit suite à une accélération de l’inflation (comme celle observée dans le sillage de l’inflation) ne conduit pas forcément les prix et les salaires à se retrouver sur une trajectoire hors de contrôle : la hausse des salaires nominaux, comme celle que l'on observe actuellement, peut marquer un simple retour des salaires nominaux à leur tendance. Par conséquent, la banque centrale n’a pas forcément à provoquer une récession pour ramener l’inflation à un faible niveau : elle peut parvenir à stabiliser les prix en entreprenant un « atterrissage en douceur » (soft landing), c’est-à-dire en ralentissant certes la croissance économique, mais sans pour autant l’inverser.
Références
LORENZONI, Guido, & Iván WERNING (2023), « Wage-price spirals », Brookings.