jeudi 25 mai 2023

Comment expliquer l'inflation postpandémique aux Etats-Unis ?

Une fois les premiers temps de la pandémie de Covid-19 passés, l’inflation a fortement augmenté, notamment dans les pays développés. Les banques centrales et la plupart des économistes ont échoué à prédire cette hausse de l’inflation et, lorsqu’elle s’est amorcée, beaucoup ont initialement pensé qu’elle n’était que temporaire.

Dans le cas des Etats-Unis, beaucoup ont pu sous-estimer les effets inflationnistes de la politique budgétaire. L’administration Trump a adopté un soutien budgétaire de 2.200 milliards de dollars ; l’administration Biden a adopté deux nouveaux plans, respectivement de 900 et 1.900 milliards de dollars. Ensemble, le montant de ces mesures, relativement au PIB, a été 4,5 fois plus élevé que celui du plan de relance adopté en réponse à la crise financière en 2009, lors de la crise financière mondiale. Or une telle impulsion est susceptible de pousser la production bien au-dessus de son potentiel. Larry Summers (2021) et Olivier Blanchard (2021) ont ainsi pu prédire une hausse de l’inflation, mais dans leur raisonnement celle-ci découlait avant tout d’une aggravation des tensions sur un marché du travail déjà en surchauffe : l’économie étant déjà au plein emploi au vu du niveau extrêmement faible auquel était revenu le taux de chômage, ils estimaient que ce dernier s’éloignerait davantage du niveau compatible avec une inflation stable, rendant la courbe de Phillips plus pentue, si bien qu'ils s'attendaient à ce que l'inflation augmenter davantage que n'amènerait à le prédire l'hypothèse d'une courbe de Phillips plate.

Dans une nouvelle étude, Ben Bernanke et Olivier Blanchard (2023) ont cherché à quantifier les sources de l’inflation postpandémique aux Etats-Unis. Pour cela, ils ont estimé un modèle dynamique simple des prix, des salaires et des anticipations d’inflation. Ce modèle leur a permis d’analyser les effets directs et indirects des chocs touchant les marchés des produits et le marché du travail sur les prix et les salaires nominaux. 

Ils concluent que la hausse initiale de l’inflation ne résulte pas des tensions sur le marché du travail. Certes, ce dernier était clairement en surchauffe en 2021 et en 2022, au vu d’indicateurs comme le ratio de postes vacants, atteignant des niveaux relativement élevés. Pour autant, le comportement des salaires est resté assez conforme à ce que l’on pouvait prédire en supposant une courbe de Phillips plate et les anticipations d’inflation n’ont été que légèrement révisées à la hausse. En outre, il n'y a guère d'éléments amenant à suggérer qu'une spirale prix-salaires ait été à l'œuvre : les salariés n'ont guère obtenu de hausses du salaire nominal suffisamment élevées pour compenser la hausse non anticipée des prix.

En fait, la hausse initiale de l’inflation résulte avant tout des chocs touchant les marchés des produits, notamment la hausse des prix des matières premières, des pénuries sectorielles (par exemple dans le secteur automobile) et une déformation de la demande des services vers les biens. Focalisés sur le marché du travail, les banques centrales et autres analystes ont eu tendance à négliger les développements sur les marchés des produits, ce qui contribue à expliquer pourquoi ils ont manqué la hausse de l’inflation.

Cela dit, même si les tensions sur le marché du travail n’ont pas été, jusqu’à présent, la cause essentielle de l’inflation, cela risque de finir par être le cas. A mesure que les prix des matières premières vont se stabiliser et les chaînes de valeur se normaliser, la composante de l’inflation liée aux marchés des produits devrait diminuer et la composante de l’inflation liée au marché du travail gagner en importante. Or, les effets d’une surchauffe des marchés du travail sur la croissance des salaires nominaux et sur l’inflation apparaissent plus persistants que les effets des chocs touchant les marchés des produits. 

Bernanke et Blanchard en concluent que la Fed devra bien ralentir l’économie américaine pour ramener rapidement l’inflation à sa cible. La hausse du chômage dépendra de la nature, temporaire ou durable, du déplacement de la courbe de Beveridge observée dans le sillage de la pandémie [Blanchard et alii, 2022].


Références

BERNANKE, Ben, & Olivier BLANCHARD (2023), « What caused the U.S. pandemic-era inflation? », Brookings. 

BLANCHARD, Olivier (2021), « In defense of concerns over the $1.9 trillion relief plan », blog du PIIE, Realtime Economics, 18 février.

BLANCHARD, Olivier, Alex DOMASH & Lawrence H. SUMMERS (2022), « Bad news for the Fed from the Beveridge space », PIIE, policy brief, n° 22-7, juillet. 

SUMMERS, Lawrence H. (2021), « The Biden stimulus is admirably ambitious. But it brings some big risks, too », Washington Post, 4 février.