mercredi 3 mai 2023

L’IA peut bénéficier de façon disproportionnée aux travailleurs les moins compétents

La littérature économique (Autor et alii, 2003) considère typiquement les nouvelles technologies numériques comme complémentaires aux travailleurs qualifiés (ce qui permet à ces derniers de gagner en efficacité) et substituables avec les travailleurs non qualifiés (si bien que les tâches réalisées par ces derniers sont davantage susceptibles d’être réalisées par les machines). Les avancées informatiques se poursuivent et permettent aux machines de réaliser un éventail toujours plus large de tâches jusqu’à présent réalisables par les seuls travailleurs, notamment qualifiés. C’est le cas de l’intelligence artificielle, dont les effets concrets sur les travailleurs restent à étudier. 

Trois chercheurs du MIT, Erik Brynjolfsson, Danielle Li et Lindsey Raymond (2023), ont étudié l’impact que peut avoir sur le lieu de travail l’introduction d’un outil basé sur l’IA. En l’occurrence, ils ont observé les répercussions de l’usage d’un assistant conversationnel dans une grande entreprise américaine en utilisant les données relatives à 5.179 agents de son service client. 

Premièrement, Brynjolfsson et ses coauteurs  l’assistance apportée par l’IA augmente la productivité des travailleurs : le nombre de conversations qu’un agent est capable de résoudre avec succès en une heure a augmenté de 13,9 %. Cette hausse de la productivité tient à une baisse du temps nécessaire pour qu’un agent traite une conversation, à une hausse du nombre de conversations qu’un agent est capable de réaliser au cours d’une heure donnée (dans la mesure où les agents peuvent gérer plusieurs conversations à la fois) et, dans une moindre mesure, à une hausse de la part des conversations qui sont résolues avec succès.

Deuxièmement, l’assistance apportée par l’IA augmente de façon disproportionnée la performance des travailleurs les moins qualifiés et les moins expérimentés : les 20 % des agents les moins compétents ont vu leur productivité augmenter de 35 %. L’outil aide les nouveaux travailleurs à gagner plus rapidement en expérience. En effet, les agents qui avaient deux mois d’ancienneté dans l’entreprise et qui travaillaient avec l’IA est aussi, voire davantage, efficaces que les agents qui avaient six moins d’ancienneté et qui ne disposaient pas de l’IA. 

Troisièmement, en utilisant l’analyse textuelle, Brynjolfsson et ses coauteurs ont constaté que l’assistance apportée par l’IA a amené les agents peu compétents à converser avec les clients davantage comme le font les agents très compétents. Ils en concluent que, si l’assistance apportée par l’IA bénéficie de façon disproportionnée aux travailleurs peu qualifiés, c’est parce qu’elle capture le savoir tacite des travailleurs compétents (par exemple, le langage à utiliser pour calmer un client mécontent ou la recherche des documentations pertinentes pour résoudre les problèmes évoqués) et en imprègne les travailleurs les moins compétents à mesure que ces derniers l’utilisent.

Quatrièmement, il apparaît que l’introduction de l’IA a modifié la relation avec la clientèle et l’organisation du travail. D’une part, les clients semblent davantage satisfaits de leurs échanges avec les agents, comme le suggèrent le ton de leurs propos ou le fait qu’ils soient moins susceptibles d’exiger d’avoir à faire à un supérieur des agents. D’autre part, la rotation du personnel diminue, ce qui peut s’expliquer par la facilitation des tâches et l’amélioration de la relation avec la clientèle.


Références

AUTOR, David H., Lawrence F. KATZ & Alan B. KRUEGER (2003), « Computing inequality: Have computers changed the labor market? », The Quarterly Journal of Economics, vol. 113, n° 4. 

BRYNJOLFSSON, Erik, Danielle LI & Lindsey R. RAYMOND (2023), « Generative AI at work », NBER, working paper, n° 31161.