Plusieurs travaux suggèrent que l’exploitation de matières premières peut avoir pour effet pervers de déprimer la croissance économique d’un pays : c’est ce qu'on appelle la « malédiction des ressources naturelles » ou, plus largement, la « maladie hollandaise » (Sachs et Warner, 1995 ; Frankel, 2001). D’une part, le reste du tissu industriel se détériore, notamment parce que les exportations de matières premières dégradent sa compétitivité en entraînant une appréciation du taux de change. D’autre part, la qualité des institutions politiques tend à se dégrader, notamment parce que l’explosion de rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles alimente la corruption.
Mais les effets de la dynamique inverse, à savoir du déclin de l’activité extractive, a été moins étudiée. Or, la transition énergétique va imposer ces prochaines décennies une forte contraction de l’exploitation de nombreuses matières premières, notamment des carburants : d’après l’Agence internationale de l’énergie, l’extraction de charbon, celle de pétrole et celle de gaz naturel devront diminuer respectivement de 90 %, 80 % et 70 % d’ici 2050 pour que l’on puisse espérer atteindre cette année-là l’objectif de neutralité carbone.
Dans un nouveau document de travail, Rudolfs Bems, Lukas Boehnert, Andrea Pescatori et Martin Stuermer (2023) ont cherché à déterminer les conséquences macroéconomiques de la réduction de l’extraction de carburants. Pour cela, ils ont étudié 35 épisodes d’effondrements de l’activité extractive à partir d’un échantillon de données relatives à l’extraction de 13 minéraux différents, en l’occurrence des gaz, du pétrole, du charbon et des métaux, pour 122 pays depuis le milieu du vingtième siècle.
En utilisant la méthode des projections locales, ils constatent que les effondrements de l’activité extractive pénalisent significativement et durablement le PIB réel et le solde commercial. Le taux de change réel se déprécie lentement et pas assez pour compenser la baisse des exportations. Le déclin de l’activité extractive semble déprimer les autres secteurs productifs. L’effet est durable : après 20 ans le début de la contraction de l’activité extractive, le PIB réel est toujours inférieur de 4 % à ce qu’il aurait été en l’absence du déclin (cf. graphique).
Les effets sont les plus significatifs pour les pays à bas revenu. Pour Bems et ses coauteurs, cela pourrait s’expliquer par le fait que les pays plus avancés disposent de meilleures institutions. Ils observent notamment que la qualité des institutions tend à ne pas s’améliorer après le déclin de l’activité extractive. Autrement dit, si l’exploitation des ressources naturelles tend à dégrader la qualité des institutions, son déclin ne s’accompagne pas de l’effet inverse.
Ces résultats ont plusieurs implications. Au vu des répercussions négatives d'une contraction de l'activité extractive, les autorités peuvent être réticentes à réduire celle-ci. D'autre part, les effets étant plus importants pour les pays en développement que pour les pays développés, c'est un canal via lequel la transition vers la neutralité carbone risque de creuser les inégalités entre pays, ce qui donne une nouvelle justification à l'adoption d'un programme d'aides plus ambitieux des pays développés vers les pays en développement pour accompagner la transition énergétique.
Références