Les taux d’intérêt neutres (ou naturels ou encore d’équilibre) sont les taux d’intérêt cohérents avec une production à son potentiel et une inflation stable. Plusieurs travaux ont suggéré qu’ils ont eu tendance à baisser ces dernières décennies et à finir par atteindre des niveaux historiquement faibles. Plus récemment, avec la hausse de l’inflation observée suite à la pandémie de Covid-19, certains ont suggéré qu’ils ont eu tendance à repartir à la hausse.
Les taux neutres ne sont pas directement observables ; ils doivent être estimés. Thomas Laubach et John Williams (2003) et Kathryn Holston et alii (2017) ont proposé une méthodologie pour les estimer. Adoptant celle-ci, Francesco Grigoli, Josef Platzer et Robin Tietz (2023) ont proposé de nouvelles estimations des taux d’intérêt neutres pour 16 pays développés pour une période allant des années 1870 à 2019.
Ils distinguent trois périodes dans l’évolution des taux d’intérêt neutres. Pour la période allant des années 1870 à la Seconde Guerre mondiale, il apparaît que les taux neutres ont été relativement stables ou ont légèrement décliné. De la fin du conflit aux années 1960, les taux neutres ont augmenté. A partir des années 1960, les taux neutres ont régulièrement décliné. Pour le pays médian, le taux neutre a baissé de 4,5 points de pourcentage depuis son pic des années 1960 et il a atteint 0,5 % en 2019, soit un niveau 2,5 points de pourcentage inférieur à celui qu’il atteignait en moyenne avant la Seconde Guerre mondiale. Les taux neutres ont eu tendance à converger à partir des années 1980, ce qui pourrait s’expliquer par l’ouverture des marchés des capitaux.
Grigoli et ses coauteurs se sont ensuite tournés vers les possibles déterminants des taux neutres. Ils estiment que le vieillissement de la population et les progrès dans les systèmes de soins tendent à déprimer les taux neutres. La croissance de la population, la croissance de la productivité globale des facteurs et la croissance tendancielle du PIB sont positivement corrélées avec les taux neutres. Ils constatent aussi que les taux neutres sont négativement corrélés avec les ratios dette publique sur PIB. Par contre, les prix relatifs du capital et les inégalités de revenu présentent une faible relation avec r*. Les pays avec des comptes de capital plus ouverts tendent à avoir des taux neutres plus élevés.
Enfin, Grigoli et ses coauteurs ont cherché à déterminer quels facteurs ont le plus amplement contribué aux évolutions des taux d’intérêt naturels au fil du temps. Ils ne parviennent par à attribuer à une quelconque variable considérée une grande part des évolutions observées avant la Première Guerre mondiale. Par contre, pour la période de l’entre-deux-guerres, il semble que la baisse des taux neutres aient en grande partie tenue à la baisse de la croissance tendancielle du PIB et, dans une moindre mesure, à une hausse du ratio de dépendance. Après les Seconde Guerre mondiale, la baisse des ratios d’endettement public et la libéralisation des comptes de capital semblent avoir contribué à pousser les taux neutres vers le haut. L’effet de ces facteurs a toutefois été en partie compensé par la hausse du ratio de dépendance. En ce qui concerne les toutes dernières décennies, il semble que le ralentissement de la croissance du PIB, le vieillissement démographique et la hausse des ratios dette publique sur PIB aient particulièrement contribué à pousser les taux neutres à la baisse.
Références