mercredi 13 juillet 2022

Les mauvaises nouvelles de la courbe de Beveridge pour la Fed

L’inflation a fortement augmenté ces derniers trimestres dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis où elle a atteint au mois dernier les 9,1 % en rythme annuel, un niveau qui n'avait pas été observé depuis novembre 1981. Cette hausse de l’inflation n’est guère surprenante : la demande, alimentée aux Etats-Unis par des plans de soutien budgétaire d’un montant exceptionnel, a fortement rebondi suite au confinement, ce qui a rapidement conduit à des goulots d’étranglement.

La Réserve fédérale a déjà commencé un cycle de resserrement monétaire pour contenir l’inflation en espérant certes réduire les tensions sur le marché du travail, mais sans aggraver le chômage. En l’occurrence, plusieurs de ses membres ont suggéré que la stabilisation pourrait passer par une réduction du seul nombre de postes vacants. Malheureusement, selon Olivier Blanchard, Alex Domash et Larry Summers (2022), ils sont excessivement optimistes. Ils oublient notamment les enseignements de la courbe de Beveridge.

En effet, par rapport à la période antérieure à la pandémie, ils notent que pour un même taux de chômage il y a un taux de postes vacants beaucoup plus élevé, ce qui signifie que la courbe de Beveridge s’est déplacée vers le haut (cf. graphique). En avril dernier, l’économie américaine se situait au nord-ouest du cadran. Pour Blanchard et ses coauteurs, cela s’explique par la conjonction d’une forte activité économique (se traduisant par un déplacement sur la courbe vers la gauche) et d’une détérioration du processus d’appariement entre emplois et travailleurs (se traduisant par un déplacement de la courbe vers le haut), tenant quant à elle à une plus forte réallocation de la main-d’œuvre d’un secteur à l’autre et à une moindre efficacité de l’appariement.

Cela a deux importantes implications. D’une part, si les difficultés d’appariement se sont accentuées, alors le taux de chômage naturel a augmenté. En l’occurrence, Blanchard et ses coauteurs estiment que les difficultés d’appariement ont contribué à augmenter le taux de chômage naturel de 1,3 point de pourcentage par rapport à son niveau prépandémique ; celui-ci serait ainsi passé de 3,6 % à 4,9 %. Dans la mesure où le taux de chômage est actuellement autour de 3,6 %, cela signifie que l’économie américaine connaît un écart de chômage positif, c’est-à-dire une surchauffe. Or cette estimation est peut-être conservatrice. Pour la calculer, Blanchard et ses coauteurs n’ont pas pris en compte d’autres déterminants du taux de chômage naturel, notamment les décisions de marge des entreprises, le salaire de réserve des travailleurs et le degré de rigidité du salaire réel face aux chocs d’offre négatifs. Or, selon eux, si ces éléments ont changé depuis le début de la pandémie, ils l’ont très certainement fait de telle sorte qu'ils contribuent à aggraver davantage le taux de chômage naturel. 

D’autre part, contrairement à ce que les responsables de la Fed espèrent, il est peu probable que le taux de postes vacants diminue sans une forte hausse du taux de chômage. Le taux de postes vacants pourrait diminuer sans aggraver le chômage si les difficultés d’appariement s’atténuaient. Or, la Fed ne peut pas jouer sur celles-ci. En outre, Blanchard et ses coauteurs ne voient guère de raisons de penser qu’elles puissent s’atténuer rapidement. Lorsqu’ils regardent la relation historique entre postes vacants et chômage en remontant jusqu’aux années 1950 et en analysant la trajectoire du chômage lorsque le taux de postes vacants diminue après avoir atteint un pic, ils ne décèlent pas d’épisodes passés au cours desquels le taux de postes vacants a significativement diminué sans que le taux de chômage n’augmente fortement.

Blanchard et ses coauteurs en concluent que la Fed n’a guère de chances de stabiliser l’inflation sans entraîner une forte hausse du taux de chômage.


Référence

BLANCHARD, Olivier, Alex DOMASH & Lawrence H. SUMMERS (2022), « Bad news for the Fed from the Beveridge space », PIIE, policy brief, n° 22-7.