dimanche 28 novembre 2021

La grippe espagnole a-t-elle mis fin à la première mondialisation ?

Après plusieurs décennies de globalisation financière et d’« hypermondialisation » au cours desquelles le volume d’échanges internationaux de biens et services a augmenté plus vite que la production mondiale, la crise financière mondiale de 2008 a durablement freiné l’expansion du commerce international. La décennie qui suivit fut marquée par les craintes de guerres commerciales et de guerres des monnaies, ainsi que par la montée des mouvements populistes à travers le monde. Avec la pandémie de Covid-19 et les appels à relocaliser certaines productions, notamment celles jugées stratégiques, certains ont de nouveau suggéré que l’actuelle vague de mondialisation venait peut-être d’arriver à son terme, qu’un processus de démondialisation allait désormais s’opérer (Antràs, 2020). Mais pour l’instant, il ne semble pas qu’un renversement de la mondialisation, commerciale comme financière, se soit vraiment amorcé. 

Beaucoup ont notamment dressé des parallèles entre l’actuelle époque et les événements d’il y a un siècle : la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920 avait été précédée par une longue période de mondialisation commerciale et financière et les décennies qui la suivirent furent au contraire marquées par essoufflement du commerce international. 

Pierre Siklos (2021) vient de se demander si la pandémie de grippe espagnole avait pu interrompre la « première mondialisation ». En utilisant les données annuelles relatives à 17 pays, pour l’essentiel européens, pour la période allant de 1870 à 1928, il a réalisé toute une série de tests pour essayer de déterminer l’impact de la grippe espagnole sur la mondialisation. Il conclut au terme de ceux-ci que la pandémie a ralenti le processus de mondialisation, mais qu’il ne l’a pas inversé.

En fait, son analyse révèle que les pays qui ont participé à la Première guerre mondiale n’ont pas connu le même destin que ceux qui n’y ont pas participé : la pandémie et le conflit mondial ont particulièrement freiné le processus d’intégration dans les pays belligérants, mais non dans les pays non belligérants. Néanmoins, dans le cas de l’ouverture au commerce international, plusieurs pays belligérants ou non ont connu un rebond après le conflit et la pandémie. Cette dernière ne semble pas avoir en définitive laissé d’effets cicatrice sur le commerce international.

Pour Siklos, il est très difficile de tirer des parallèles entre les deux épisodes historiques tant le monde d’aujourd’hui est bien différent de celui qui a émergé de la Première Guerre mondiale. La leçon qu’il pense peut-être pouvoir tirer des évènements d’il y a un siècle est que l’intégration commerciale et financière devrait se poursuivre dans certains blocs de pays, tandis que d’autres blocs pourraient connaître le processus inverse. Il y a un siècle, le processus d’intégration s’était poursuivi dans les pays qui n’avaient pas participé à la Première mondiale, mais avait ralenti dans les pays belligérants. Aujourd’hui, ce pourrait être les pays marqués par la montée du populisme qui connaissent une inversion du processus d’intégration.

 

Références

ANTRÀS, Pol (2020), « De-globalisation? Global value chains in the post-COVID-19 age », NBER, working paper, n° 28115. 

SIKLOS, Pierre L. (2021), « Did the Great Influenza of 1918-1920 trigger a reversal of the first era of globalization? », CAMA, working paper, n° 95/2021.