vendredi 26 novembre 2021

Les crises financières radicalisent-elles les électeurs ? Ce que l’arrivée d’Hitler au pouvoir doit à la crise bancaire allemande

La crise financière mondiale de 2008, puis la montée des mouvements populistes à travers le monde, ont renouvelé l’intérêt des chercheurs pour les crises financières, pour leurs causes, mais aussi pour leurs répercussions « réelles », notamment leurs conséquences politiques. Plusieurs études ont notamment relié l’essor des partis d’extrême-droite aux crises financières (De Bromhead et alii, 2013 ; Funke et alii, 2016)

L’un des épisodes qui a reçu le plus d’attention a naturellement été celui de la Grande Dépression en Allemagne, notamment parce qu’il semble avoir contribué à l’ascension du parti nazi et en définitive à l’arrivée d’Hitler au pouvoir. La crise économique a en effet été particulièrement douloureuse pour la population outre-Rhin : la production industrielle allemande a chuté de 40 %, les salaires de plus de 20 % et le PIB de près de 40 % ; en 1933, l’Allemagne enregistrait 6 millions de chômeurs, représentant un tiers de sa population active. L’austérité budgétaire a contribué à aggraver la crise économique (Galofré-Vilà et alii, 2021). Mais c’est peut-être surtout une crise bancaire qui a exacerbé celle-ci durant l’été 1931 : les quatre cinquièmes de la chute de la production de biens durables ont été occasionnés après le début de cette crise bancaire. 

Le secteur bancaire allemand a été tout particulièrement déstabilisé par la crise bancaire qui secoua l’Autriche au début du mois de mai 1931 et qui fut notamment marquée par la faillite de la Creditanstalt. Les banques allemandes ont en contrecoup de celle-ci subi des retraits de dépôts massifs de la part de leurs clients étrangers. Mais c’est surtout l’effondrement de la Darmstädter und Nationalbank, plus communément appelée la Danatbank, qui déstabilisa le secteur bancaire allemand. Celle-ci, qui constituait alors la deuxième plus grande banque d’Allemagne, a vu sa situation se dégrader fortement lorsque l’un de ses emprunteurs, la Nordwolle, une grande entreprise de textile, déposa le bilan. La Danatbank fit à son tour faillite en juillet. Sa défaillance entraîna tout d’abord une ruée bancaire de la part des petits épargnants avant de paralyser plus largement le système bancaire allemand. 

Implantation géographique de la Danatbank en Allemagne

Sebastian Doerr, Stefan Gissler, José-Luis Peydró et Hans-Joachim Voth (2021) se sont penchés sur les effets de la crise bancaire allemande de 1931 pour déterminer dans quelle mesure celle-ci a contribué à l’arrivée des nazis au pouvoir. En observant l’exposition des municipalités à la Danatbank, ils constatent que les votes en faveur des nazis se sont surtout accrus dans les zones les plus exposées à la banque. Alors que les revenus chutèrent en moyenne de 14 % dans l’ensemble des municipalités observées, la chute fut 7,8 points de pourcentage plus ample dans les municipalités les plus exposées à la faillite de la Danatbank. Dans les municipalités exposées à la Danatbank, la part des votes en faveur des nazis a été supérieure de 2,9 points de pourcentage par rapport à sa moyenne (15 %). Le choc financier semble bien avoir radicalisé l’électoral et contribué ainsi à l’arrivée des nazis au pouvoir.

En outre, Doerr et ses coauteurs constatent que le choc financier a interagi avec les attitudes culturelles préexistantes. En effet, la radicalisation des votes a été encore plus forte dans les villes ayant déjà une histoire d’antisémitisme. La propagande nazie a en effet particulièrement exploité l’occurrence de la crise bancaire de 1931 pour s’en prendre à la communauté juive. 

Enfin Doerr et ses coauteurs notent que la crise bancaire n’a pas eu pour seul effet de radicaliser les intentions de vote : elle a également radicalisé les comportements. En effet, après l’accession des nazis au pouvoir, il apparaît que les envois de lettres antisémites à la presse nazie, les déportations vers les camps de concentration à partir de 1933 et les attaques contre les synagogues lors des pogroms en 1938 ont été les plus fréquents dans les zones les plus affectées par la crise bancaire. 

 

Références

BROMHEAD, Alan de, Barry EICHENGREEN, & Kevin H. O'ROURKE (2013), « Political extremism in the 1920s and 1930s: Do German lessons generalize? », Journal of Economic History, vol. 73. 

DOERR, Sebastian, Stefan GISSLER, José-Luis PEYDRÓ & Hans-Joachim VOTH (2021), « Financial crises and political radicalization: How failing banks paved Hitler's path to power », BRI, working paper, n° 978. 

FUNKE, Manuel, Moritz SCHULARICK & Christoph TREBESCH (2015), « Going to extremes: Politics after financial crisis, 1870-2014 », CESifo, working paper, n° 5553. 

GALOFRÉ-VILÀ, Gregori, Christopher M. MEISSNER, Martin MCKEE & David STUCKLER (2017), « Austerity and the rise of the Nazi party », NBER, working paper, n° 24106.