Avant la Grande Récession, la politique monétaire était souvent étudiée à travers des modèles nouveaux keynésiens à agent représentatif (representative agent new Keynesian models ou RANK models). De tels modèles suggéraient qu’il est optimal pour la banque centrale de chercher à stabiliser les prix et à maintenir la production à un niveau efficient (Woodford, 2003). En l’occurrence, ils ont même suggéré, au prix d’hypothèses très restrictives, qu’il n’y a pas d’arbitrage entre inflation et écart de production, si bien que la banque centrale peut se contenter de cibler l’inflation : le seul maintien de l’inflation à sa cible implique alors de facto un maintien de la production à son potentiel, un résultat qu’Olivier Blanchard et Jordi Galí (2007) ont qualifié de « divine coïncidence ».
Depuis la Grande Récession, les économistes prennent davantage en compte les inégalités de revenu et de patrimoine dans leurs modèles, notamment lorsqu’il s’agit d’étudier la politique monétaire. En effet, la politique monétaire affecte ces inégalités, comme l’ont notamment suggéré plusieurs travaux empiriques (Coibion et alii, 2017 ; Furceri et alii, 2018). D’autre part, les inégalités de revenu et de patrimoine affectent en retour l’activité économique et la stabilité financière, c’est-à-dire les objectifs traditionnels des banques centrales et donc la transmission de leur politique monétaire (Auclert et Rognlie, 2018 ; Auclert, 2019).
La dernière décennie a notamment été marquée par le développement de modèles nouveaux keynésiens à agent hétérogène (heterogeneous agent new Keynesian models ou HANK models) (Kaplan et alii, 2018). A la différence du modèle RANK, le planificateur, dans un modèle HANK, a un objectif supplémentaire : contenir, voire réduire les inégalités de consommation.
Sushant Acharya, Edouard Challe et Keshav Dogra (2021) ont utilisé un modèle HANK pour déterminer, d’une part, comment la politique monétaire affecte les inégalités de consommation et, d’autre part, comment ces dernières affectent en retour la première. Ce cadre leur permet de distinguer entre deux façons par lesquelles la politique monétaire est susceptible d’affecter les inégalités de consommation. D’une part, la politique monétaire peut réduire le risque de consommation idiosyncratique auquel les ménages font face, risque qui apparaît contracyclique. D’autre part, elle peut réduire les fluctuations dans les inégalités entre groupes qui découlent des expositions inégales aux chocs agrégés.
Avec la prise en compte du risque idiosyncratique et des inégalités d’exposition aux chocs, il apparaît que la politique monétaire optimale face aux chocs d’offre implique de donner un certain poids à la stabilisation de la production autour d’un niveau d’équilibre élevé et de réduire en conséquence le poids donné à l’efficience productive et à la stabilité des prix. En réponse à des chocs de demande, la politique monétaire optimale implique de s’écarter de la stabilité des prix : alors que cette dernière est optimale dans les modèles RANK, ce n’est pas le cas dans les modèles HANK, puisque les inégalités y réduisent le bien-être et rendent invalide la divine coïncidence. Acharya en concluent que les banques centrales qui s’inquiètent des inégalités n’ont pas nécessairement à incorporer explicitement une mesure des inégalités dans leur fonction de réaction : par contre, elles peuvent y introduire le niveau de production, ce qui les amène à réduire les poids relatifs de l’écart de production et des prix.
Références
WOODFORD, Michael (2003), Interest and Prices: Foundations of a Theory of Monetary Policy, Princeton University Press.