vendredi 7 janvier 2022

La pandémie a-t-elle renforcé le soutien en faveur de la redistribution ? Petite leçon allemande

Plusieurs travaux suggèrent que les sentiments d’injustice et les croyances relatives à la chance et au mérite influencent les préférences des individus en matière de redistribution. En l’occurrence, si les individus croient que les inégalités de revenu résultent d’un processus juste et méritocratique, ils auront davantage tendance à voir celles-ci comme le reflet des différences d’efforts et ainsi à moins soutenir la redistribution. Par contre, s’ils croient que les inégalités s’expliquent avant tout par des facteurs échappant à leur contrôle, ils auraient tendance à demander davantage de redistribution.

Ainsi, on pourrait penser que des catastrophes touchant l’ensemble de la population auraient tendance à renforcer le soutien en faveur de la redistribution. C’est ce que suggèrent notamment Giovanni Gualtieri et alii (2019) en observant l’impact des tremblements de terre sur les préférences de la population italienne en matière de redistribution : les séismes ont renforcé le soutien envers la redistribution, même parmi ceux qui n’ont pas subi de dégâts matériels. Un choc négatif exogène peut ainsi augmenter le soutien de la population en faveur de la redistribution en renforçant la croyance que la réussite économique dépend davantage de la chance que du mérite. Mais est-ce le cas de la pandémie de Covid-19 ?

Comme dans les autres pays, celle-ci n’a pas touché le territoire allemand de façon homogène : certaines localités ont connu davantage d’infections et de morts que d’autres. Luna Bellani, Andrea Fazio et Francesco Scervini (2021) ont tiré profit de cet impact différencié pour déterminer les effets de la pandémie sur les préférences de la population allemande en termes de redistribution. Pour cela, ils ont étudié les données tirées d’une enquête menée en Allemagne en trois vagues, en l’occurrence entre mai 2020 (dans le sillage du premier confinement) et mai 2021.

Bellani et ses coauteurs notent que la sévérité de la pandémie a été associée à une plus forte aversion vis-à-vis des inégalités, que les individus qui ont suivi des pertes économiques sont davantage susceptibles de soutenir la redistribution et que l’épidémie ne semble pas avoir affecté la confiance interpersonnelle. Pourtant, ils constatent que la sévérité de la pandémie est associée à un moindre soutien en faveur de la redistribution. 

Une explication pourrait être que la pandémie a érodé la confiance institutionnelle ; en effet, certaines travaux ont suggéré que le soutien en faveur de la redistribution dépend étroitement de la confiance envers le gouvernement (Kuziembo et alii, 2015). Bellani et ses coauteurs notent que l’intensité de l’épidémie est associée en Allemagne à une moindre confiance envers le gouvernement central, le gouvernement fédéral et le Parlement. Ainsi, la pandémie a certes augmenté l’aversion aux inégalités de la population, mais elle aurait réduit le soutien en faveur de la redistribution en érodant la confiance envers les institutions en charge de celle-ci. 

 

Références

BELLANI, Luna, Andrea FAZIO & Francesco SCERVINI (2022), « Collective negative shocks and preferences for redistribution: Evidence from the COVID-19 Crisis in Germany », IZA, discussion paper, n° 14969. 

GUALTIERI, Giovanni, Marcella NICOLINI & Fabio SABATINI (2019), « Repeated shocks and preferences for redistribution », Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 167. 

KUZIEMKO, Ilyana, Michael I. NORTON, Emmanuel SAEZ & Stefanie STANTCHEVA (2015), « How elastic are preferences for redistribution? Evidence from randomized survey experiments », American Economic Review, vol. 105, n° 4.