Le vingtième siècle a été marqué par la hausse du taux d’activité des femmes et la réduction des inégalités salariales entre les sexes (Goldin, 2006). Ces deux évolutions ont été marquées dans les années 1970 et 1980, mais elles ont ensuite eu tendance à ralentir dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis (cf. graphique).
Inégalités salariales de genre et taux d’activité des femmes aux Etats-Unis
A partir des données américaines, Stefania Albanesi et María José Prados (2022) observent en l’occurrence une rupture dans la tendance suivie par le taux d’activité des femmes mariées au début des années 1990. Le taux d’activité de celles-ci avait jusqu’alors augmenté de 2 points de pourcentage par an depuis la Seconde Guerre mondiale, si bien qu’il convergeait rapidement vers celui des femmes seules. La convergence a cessé à partir du début des années 1990 et ce de façon disproportionnée pour les diplômées du supérieur. Ainsi, parmi les femmes qui ne sont pas diplômées du supérieur, le taux d’activité des femmes seules était supérieur de 5 points de pourcentage à celui des femmes mariées dans les années 1993-2007 ; au cours de la même période, parmi les femmes diplômées du supérieur, le taux d’activité des femmes seules est resté 10 points de pourcentage supérieur à celui des femmes mariées. L’écart en termes de taux d’activité entre les femmes mariées et les femmes seules a légèrement diminué au cours de la Grande Récession, essentiellement en raison de la chute du taux d’activité des femmes seules. Il n’y a guère eu de convergence supplémentaire après 2012.
Albanesi et Prados suggèrent que le ralentissement de la hausse du taux d’activité des femmes et de la réduction des inégalités salariales entre les sexes qui a été observé aux Etats-Unis s’explique par un autre phénomène à l’œuvre depuis les années 1980, en l’occurrence la hausse des hauts revenu pour les hommes. En effet, elles constatent que le ralentissement de la croissance du taux d’activité des femmes mariées est essentiellement concentré parmi celles qui ont un conjoint diplômé du supérieur et est positivement corrélé au niveau de revenu du mari. En raison de la tendance à l’homogamie, il apparaît que cela a particulièrement affecté les femmes diplômées du supérieur. En outre, Albanesi et Prados constatent que la croissance des hauts revenus des hommes mariés est associée à une hausse de la prime de qualification pour ce groupe, mais elles n’observent pas de hausse comparable de la prime de qualification pour les femmes mariées, alors qu’il n’y a pas de différence dans la prime de qualification entre les genres parmi les célibataires.
Ainsi, Albanesi et Prados font l’hypothèse que la hausse des hauts revenus gagnés par les hommes a entraîné un effet de revenu négatif sur l’offre de travail de leurs conjointes : ces dernières ont eu moins de chances d’être actives et, lorsqu’elles l’étaient, ont eu tendance à travailler moins longtemps, ce qui freiné la croissance de leurs salaires.
Albanesi et Prados ont alors développé un modèle de l’offre de travail du ménage, inspiré de celui de Chiappori (1992), reproduisant qualitativement l’effet qu’elles ont repéré. Une version calibrée de ce modèle peut expliquer une large part du déclin relatif du taux d’activité des femmes entre 1995 et 2005 relativement à sa tendance, en particulier pour les femmes diplômées du supérieur. Le modèle contribue aussi à expliquer le ralentissement de la baisse des inégalités salariales pour les femmes diplômées du supérieur.
Références