samedi 8 janvier 2022

La gestion préventive des flux de capitaux préserve les pays émergents des chocs d’aversion au risque

Les marchés des capitaux internationaux subissent régulièrement des épisodes de forte aversion au cours desquels les investisseurs financiers se détournent subitement des actifs qu’ils jugent risqués. Ces épisodes affectent tout particulièrement les pays émergents. En effet, ces derniers connaissent alors un tassement des entrées des capitaux, une fuite des capitaux et une plus forte volatilité de leur taux de change. Ces événements ont d’autant plus de chances de se solder par une crise financière que les résidents s’étaient auparavant endettés en devises étrangères. Un tel épisode s’était par exemple produit lors du taper tantrum en 2013, lorsque la Réserve fédérale signala ses intensions de réduire ses achats d’actifs, c’est-à-dire de resserrer sa politique monétaire. Ce fut de nouveau le cas lors de la pandémie de Covid-19.

Certains pays ont cherché à gérer les flux de façon préventive les flux de capitaux pour éviter les contrecoups des épisodes de forte aversion, notamment en recourant aux contrôles des capitaux. De telles politiques ont notamment été adoptées dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, en particulier lorsque la Fed procédait à ses achats d’actifs à grande échelle : les investisseurs financiers recherchant de meilleurs rendements, cet assouplissement de la politique monétaire avait stimulé les afflux de capitaux, potentiellement déstabilisateurs, à destination de pays émergents.

Plusieurs travaux théoriques suggèrent que ces politiques préventives s'avèrent efficaces : elles permettraient de contenir l’endettement en devises étrangères et de réduire le risque d’arrêts soudains des entrées de capitaux et de crises financières (Korinek, 2011 ; Korinek et Sandri, 2016 ; Bianchi et alii, 2012 ; Bianchi et Mendoza, 2018 ; Mendoza, 2016 ; Farhi et Werning, 2016). Dans ces modèles, les emprunteurs individuels prennent des risques excessifs, dans la mesure où ils n’internalisent pas le fait que l’économie risque davantage, en conséquence de leur endettement, de connaître un cercle vicieux où s’enchaînent dépréciation du taux de change, détérioration des bilans et resserrement des conditions de financement. Les mesures prudentielles amènent finalement les individus à internaliser ces externalités négatives. Toutefois, peu d’analyses ont cherché à le vérifier empiriquement. 

C’est une telle vérification que proposent Mitali Das, Gita Gopinath et Şebnem Kalemli-Özcan (2022). Ces trois économistes ont étudié les données à fréquence mensuelle relatives à 56 pays émergents et en développement sur la période allant de 1996 à 2020. Elles ont observé l’impact des mesures de gestion des flux de capitaux lors des épisodes de forte aversion au risque, en l’occurrence celui du taper tantrum et celui de la pandémie de Covid-19. Elles ont contrôlé les effets d’autres politiques, notamment de la politique monétaire ou encore de l’assouplissement des entrées des capitaux et du resserrement des sorties de capitaux que les pays tendent à adopter lorsqu’ils subissent un épisode de forte aversion au risque. 

Das et ses coauteures constatent que les pays qui ont adopté des politiques préventives au cours des cinq années précédant les épisodes de forte aversion au risque tendent à connaître, lors de ces derniers, une prime de risque sur la finance externe et une volatilité du taux de chance plus faibles relativement aux pays qui n’en ont pas adoptées. En réduisant l’impact des chocs d’aversion au risque sur les coûts de financement des pays et la volatilité de leur taux de change, les politiques préventives de gestion des flux de capitaux leur permettent de garder accès aux marchés des capitaux internationaux lors des épisodes de turbulences, c’est-à-dire précisément lorsqu’ils en ont le plus besoin.

 

Références

BIANCHI, Javier, Emine BOZ & Enrique Gabriel MENDOZA (2012), « Macroprudential policy in a Fisherian model of financial innovation », IMF Economic Review, vol. 60, n° 2. 

BIANCHI, Javier, & Enrique G. MENDOZA (2018), « Optimal time-consistent macroprudential policy », Journal of Political Economy, vol. 126, n° 2. 

DAS, Mitali, Gita GOPINATH & Şebnem KALEMLI-ÖZCAN (2022), « Preemptive policies and risk-off shocks in emerging markets », FMI, working paper, n° 2022/003.

FARHI, Emmanuel, & Ivan WERNING (2016), « A theory of macroprudential policies in the presence of nominal rigidities », Econometrica, vol. 84, n° 5. 

KORINEK, Anton (2011), « The new economics of prudential capital controls: Are search agenda », IMF Economic Review, vol. 59, n° 3. 

KORINEK, Anton, & Damiano Sandri (2016), « Capital controls or macroprudential regulation?  », Journal of International Economics, vol. 99. 

MENDOZA, Enrique G. (2016), « Macroprudential policy: Promise and challenges », NBER, working paper, n° 22868.