Les firmes multinationales enregistrent une part significative de leurs profits dans les « paradis fiscaux », des territoires où la fiscalité effective est extrêmement allégée : le montant des bénéfices transférés dans les paradis fiscaux s’élève à environ 600 milliards de dollars par an (Zucman, 2013 ; Tørsløv et alii, 2018). Face à l’accroissement des transferts de bénéfices des firmes domestiques et à l’érosion subséquente de l’assiette fiscale, les gouvernements ont eu tendance à réagir en allégeant la fiscalité sur les entreprises, mais cela accentue la concurrence fiscale internationale et entraîne une véritable « course au moins-disant fiscal », érodant les recettes fiscales des Etats et les poussant à réduire leurs dépenses publiques.
En octobre 2021, les responsables politiques de plus d’une centaine de pays se sont accordés autour d’une réforme de la fiscalité internationale fixant un taux minimum mondial d’imposition de 15 %. Les paradis fiscaux peuvent maintenir des taux d’imposition qui lui sont inférieurs, mais les pays d’origine des multinationales auront le droit de prélever des impôts d'un montant suffisant pour ramener le taux d’imposition effectif de celles-ci à 15 %. Par exemple, si Google, une entreprise de nationalité américaine, enregistre ses profits dans les Bermudes et si celles-ci les taxent à hauteur de 1 %, alors le fisc américain pourra récupérer un supplément d’impôts à hauteur de 14 % pour ramener le taux d’imposition effectif de Google à 15 %.
L’adoption de ce taux d’imposition minimum mondial est susceptible d’avoir plusieurs effets positifs pour les pays à forte fiscalité. Tout d’abord, ces derniers recevront plus de recettes fiscales des entreprises qui transfèrent leurs profits dans les pays à faible fiscalité. Ensuite, le taux d'imposition minimum devrait inciter ces entreprises à moins transférer leurs profits, ce qui accroît davantage encore les recettes fiscales de leur pays d'origine. Enfin, il réduit les contraintes sur la fiscalité domestique, ce qui donne davantage de latitude aux gouvernements pour durcir la fiscalité des multinationales et accroître leurs dépenses publiques.
Niels Johannesen (2022) a étudié les effets qu’un taux d’imposition minimum mondial est susceptible d’avoir sur le bien-être à travers un modèle de concurrence fiscale internationale. Le modèle inclut deux types de pays, en l’occurrence les pays à fiscalité élevée, où les multinationales réalisent leur activité économique réelle, et les paradis fiscaux, à fiscalité réduite, où les multinationales transfèrent leurs profits. Les autorités de chaque pays décident de leur niveau de fiscalité de façon à maximiser le bien-être national, en fonction des politiques fiscales adoptées par les autres Etats.
Johannesen conclut au terme de sa modélisation que les effets du taux d’imposition mondial d’imposition sont ambigus pour les pays à forte fiscalité. D’un côté, l’instauration du taux minimum mondial réduit le différentiel entre le taux d’imposition des pays à fiscalité élevée et le taux d’imposition des paradis fiscaux, si bien qu’il freine le transfert de profits, donc augmente les recettes fiscales des pays à fiscalité élevé. Mais d’un autre côté, les paradis fiscaux risquent de relever leur taux d’imposition et de le rapprocher au niveau du minimum mondial, ce qui alourdit le fardeau fiscal total des entreprises des pays à fiscalité élevée qui transfèrent leurs profits. En conséquence, le taux minimum mondial d’imposition est susceptible de réduire le bien-être des pays à faible fiscalité s’il est fixé à un niveau trop bas. Par contre, Johannesen estime que l’effet sur le bien-être est clairement positif pour les pays à fiscalité élevée si le taux minimum mondial est fixé à un niveau suffisamment élevé pour faire disparaître les transferts de bénéfices.
Références
JOHANNESEN, Niels (2022), « The global minimum tax », CEPR, discussion paper, n° 16925.
ZUCMAN, Gabriel (2013), La Richesse cachée des nations, Seuil.