L’inflation a fortement augmenté depuis début 2021, en particulier aux Etats-Unis. En mai, le taux d’inflation a atteint aux Etats-Unis les 8,6 %. La croissance des salaires nominaux s’est maintenue à un rythme bien plus faible, si bien que les salaires réels ont baissé : les rémunérations horaires moyennes ont chuté de 3 % au cours des douze mois qui ont précédé mai 2022.
Pour Olivier Blanchard (2022), l’érosion du pouvoir d’achat des salariés devrait entraîner un rattrapage des salaires réels : les travailleurs vont réclamer plus agressivement une revalorisation des salaires nominaux et leurs employeurs, souffrant de pénuries de main-d’œuvre, devraient être enclins à la leur accorder. Mais la hausse des salaires alourdissant les coûts de production, les entreprises risqueront alors d’augmenter en retour leurs prix de vente pour préserver leurs marges, ce qui entretiendra l’inflation.
Jose Maria Barrero, Nicholas Bloom, Steven Davis, Brent Meyer et Emil Mihaylov (2022) doutent que cet effet de rattrapage s’enclenche pleinement en raison de l’essor du télétravail observé dans le sillage de la pandémie de Covid-19. En effet, dans la mesure où les salariés sont prêts à être moins rémunérés en échange d’un surcroît de la part de leur travail à distance et où les entreprises sont plutôt réticentes à faire davantage télétravailler leur personnel à salaires constants, le télétravail aurait tendance à se déployer au détriment de la rémunération salariale. En fait, comme le notent Barrero et ses coauteurs, beaucoup de firmes américaines cherchent précisément à favoriser le télétravail en vue de contenir les hausses de salaires : en avril dernier, tout comme un an plus tête, environ quatre entreprises sur dix déclaraient chercher à promouvoir le télétravail pour modérer les pressions salariales.
L'impact est significatif. D’après les estimations de Barrero et alii, le récent essor du télétravail a réduit la part du revenu du travail de près de 1,1 point de pourcentage. Il contribue selon eux aussi à expliquer en partie la « compression inattendue » des salaires observée depuis 2020, notamment par David Autor et Dube (2022), dans la mesure où il s’exerce davantage au sommet qu’en bas de la répartition des salaires.
En définitive, l’essor du télétravail aurait de façon cumulée réduit de 2 points de pourcentage la croissance des salaires aux Etats-Unis au cours des deux dernières années. Cette modération des salaires compenserait plus de la moitié de l’effet de rattrapage des salaires réels que Blanchard a mis en avant dans son analyse des pressions inflationnistes à court terme. Autrement dit, l’essor du télétravail réduit le risque de spirale prix-salaires et l’ampleur du resserrement monétaire nécessaire pour stabiliser les prix.
Références
AUTOR, David, & Arindrajit DUBE (2022), « The unexpected compression: Employment and wage trends before and after the pandemic ».