Les inégalités raciales sont particulièrement fortes aux Etats-Unis. Par exemple, un Noir y gagne en moyenne un revenu moitié moindre que celui d’un Blanc. Mais les inégalités raciales dans le partage du patrimoine sont encore bien plus fortes que celles observées dans la répartition du revenu : un Blanc possède en moyenne six fois plus de patrimoine qu’un Noir.
Si nous connaissons l’ampleur actuelle des inégalités raciales de richesse aux Etats-Unis, celles-ci ne faisaient guère l’objet d’estimations avant les années 1980. Ellora Derenoncourt, Chi Hyun Kim, Moritz Kuhn et Moritz Schularick (2022) viennent de constituer une base de données relatives aux inégalités de patrimoine entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis remontant jusqu’en 1860. Pour cela, ils se sont notamment appuyés sur les données tirées du recensement, les registres fiscaux et les différentes vagues de l’enquête Survey of Consumer Finances.
Leur travail confirme que les inégalités de richesses entre Noirs et Blancs se sont fortement réduites au cours des cinquante années qui ont suivi l’abolition de l’esclavage : alors qu'un Blanc détenait en 1860 un patrimoine en moyenne 60 fois plus important que celui détenu par un Noir, ce ratio tombe à 10 en 1920, puis à 7 dans les années 1950. La convergence a par contre été interrompue à partir des années 1950 : le ratio de richesse par tête est depuis resté autour de 6.
Derenoncourt et ses coauteurs estiment que cette évolution des inégalités raciales de richesses est assez bien reproductible à travers un modèle d’accumulation de richesses où le revenu et les gains en capital sont les principaux moteurs de la croissance des richesses. Mais même sous des conditions égales entre Noirs et Blancs pour l’accumulation des richesses, c’est-à-dire des taux d’épargne et des gains en capital identiques, ce modèle suggère que l’écart de richesses s’élèverait aujourd’hui autour de 3. Ce sont les conditions initiales, en l’occurrence, l’énorme écart à la veille de la Guerre Civile, qui expliquerait avant tout le maintien d’un écart aujourd’hui.
Mais la convergence observée a été plus lente que celle impliquée par le modèle. A partir des années 1980, elle s’est même inversée : les écarts de richesses se sont de nouveau creusés entre Noirs et Blancs. L’explication tient notamment aux différences dans la composition des portefeuilles d’actifs : l’immobilier constitue les deux tiers du patrimoine des Noirs et ce dernier ne compte qu’une part très limitée d’actions, alors que les actions sont détenues de façon disproportionnée par les Blancs. Or, si les prix de l’immobilier ont augmenté depuis 1950, les cours boursiers ont augmenté bien plus rapidement encore. La hausse des cours boursiers a particulièrement profité aux plus riches, un groupe qui ne compte quasiment exclusivement que des Blancs.
Pour Derenoncourt et ses coauteurs, l’adoption de politiques cherchant à égaliser la composition des patrimoines entre Noirs et Blancs permettrait de revenir sur la trajectoire de convergence initiale, mais, même dans ce cas, il faudrait encore plusieurs centaines d’années avant que les écarts de richesse ne se referment. Des politiques qui redistribueraient un large stock de richesses, à motifs de réparations par exemple, auraient un impact ample et immédiat sur les écarts de richesse, mais l’effet serait temporaire. Derenoncourt et ses coauteurs appellent donc à une certaine combinaison de ces deux formes de mesures pour véritablement accélérer la convergence des niveaux de richesses.
Références