lundi 16 mai 2022

Comment les individus perçoivent les effets du commerce international

La plupart des économistes estiment que les pays tirent un gain net de leur ouverture au commerce extérieur : les échanges devraient accélérer l’innovation et la croissance, en réduisant les prix, en élargissant la diversité des produits, en facilitant la diffusion des innovations, etc. Cela dit, il existe également des coûts à l’échange, concentrés sur une partie de la population, en l’occurrence les travailleurs les moins qualifiés dans le cas des pays développés, tandis que les gains sont diffus, dilués dans l’ensemble de la population : certains voient ainsi leur situation absolue, et non pas simplement relative, se détériorer avec l’ouverture aux échanges. La mondialisation commerciale est ainsi tenue comme l’une des responsables de la hausse des inégalités observée dans les pays développés depuis le début des années 1980. Il peut alors apparaître justifié de redistribuer une partie des gains des gagnants vers les perdants de la mondialisation.

Stefanie Stantcheva (2022) a cherché à savoir quelle vision les individus ont du commerce et de la politique commerciale, en l'occurrence les restrictions à l'échange et la redistribution compensatrice. Pour cela, elle a conçu et mené des enquêtes et des expérimentations aux Etats-Unis pour éliciter ce que les répondants pensent du commerce.

En étudiant les réponses, Stantcheva note tout d’abord que les répondants ont une compréhension imparfaite du commerce et de la politique commerciale. En l’occurrence, ils semblent mieux saisir les effets des droits de douane que les effets même des échanges sur les prix ou les salaires. La plupart des répondants estiment que le commerce génère des gains d’efficience. Ils comprennent aussi qu’il est également susceptible d’avoir des effets distributionnels négatifs. Il y a ainsi un assez large accord à l’idée que les grandes entreprises et les ménages à haut revenu sont gagnants avec le commerce. Les avis sont plus partagés et pessimistes concernant les effets sur les plus modestes et les classes moyennes.

L’exposition, réelle et perçue, des répondants, en tant que travailleurs, au commerce international façonne leur vision des effets de ce dernier. Les individus qui sont objectivement les plus exposés aux effets nocifs du commerce ou qui pensent y être exposés sont moins susceptibles de croire que le commerce international réduit les prix ou qu’il n’exerce pas d’effets distributionnels négatifs.

Les répondants jugent que les gains des échanges qu’ils tirent en tant que consommateurs sont vagues et diffus. Ceux qui se sentent négativement affectés par le commerce en tant que travailleurs en perçoivent les coûts comme saillants. Bien qu’une minorité des répondants estiment que leur emploi est directement menacé par le commerce, ce sentiment conditionne crucialement leur vision du commerce : ceux qui pensent avoir tout aux risques que les échanges font peser sur leur emploi se montrent significativement moins en faveur du libre-échange. 

La vision que les individus ont du commerce est fortement influencée par des considérations sociales, allant au-delà de leur propre intérêt matériel. La croyance en la capacité du commerce à générer des gains de variété et d’efficience est celle qui prédit le mieux le soutien en faveur du libre-échange. La croyance que le commerce a des effets distributifs négatifs réduit le soutien en faveur du libre-échange, mais seulement si les répondants croient que les perdants ne peuvent être compensés. Ceux qui croient que les perdants peuvent être aidés par d’autres outils comme la redistribution ne s’opposent pas au libre-échange, même s’ils pensent qu’il va avoir des effets distributifs négatifs ; ils se montrent en faveur d’un surcroît de redistribution. 


Référence

STANTCHEVA, Stefanie (2022), « Understanding of trade », NBER, working paper, n° 30040.