mardi 10 mai 2022

Faut-il réviser la cible d’inflation ? Ce qu'en pensent les économistes

A partir des années 1990, plusieurs banques centrales à travers le monde ont adopté, plus ou moins explicitement, une cible d’inflation : elles ont cherché à maintenir le taux d’inflation à un niveau donné, généralement 2 %. On considérait que cette pratique était plus efficace si la banque centrale indiquait explicitement qu’elle l’adoptait et quel niveau d’inflation elle suivait, dans la mesure où l’on supposait que cela permettait d’ancrer plus facilement les anticipations d’inflation au niveau ciblé.

Dans le sillage de la crise financière mondiale, plusieurs économistes, notamment Olivier Blanchard, Laurence Ball et Paul Krugman, ont appelé à relever la cible d’inflation que poursuivent les banques centrales. Ces dernières maintenaient alors leurs taux d’intérêt à zéro ou quasiment à zéro sans parvenir à suffisamment stimuler l’inflation pour la ramener à sa cible. Un relèvement de la cible d’inflation était supposé réduire le risque que les économies se retrouvent à l’avenir dans une telle situation : plus la cible d’inflation est élevée, moins il y a de chances que les taux directeurs ne butent sur leur borne inférieure. Ainsi, en cas de choc récessif ou déflationniste, les banques centrales disposeraient d’une plus ample marge de manœuvre pour réduire leurs taux d’intérêt et ainsi stabiliser l’activité économique ou l’inflation. 

Mais l’idée de relever la cible d’inflation a été critiquée, notamment par Ben Bernanke (2010) lorsqu’il était à la tête de la Fed. Si l’inflation est plus forte, le risque est qu’elle devienne plus volatile, donc plus difficile à maîtriser. D’autre part, cette plus forte volatilité se traduirait par une plus forte incertitude, concernant le niveau de prix futurs, ce qui pourrait notamment perturber l’investissement, la relation de crédit, etc. Mais si l’idée de relever la cible d’inflation n’a guère suscité d’enthousiasme au cours de la dernière décennie, c’est précisément parce que les banques centrales des pays développés peinaient déjà à atteindre la cible qu’elles avaient adoptée. Les banques centrales risquaient de perdre en crédibilité si elles relevaient leur cible alors même qu’elles n’arrivaient déjà pas à atteindre celle qu’elles suivaient. Mais à présent que l’inflation est supérieure à 2 % dans les pays développés, le débat mérite d’être relancé.

Dans une nouvelle étude, Gene Ambrocio, Andrea Ferrero, Esa Jokivuolle et Kim Ristolainen (2022) ont cherché à savoir quelles sont les préférences des économistes en matière de ciblage d’inflation. Pour cela, ils ont mené une enquête auprès de plus de 600 économistes à travers le monde, mais pour l’essentiel de la zone euro et des Etats-Unis.

79 % des répondants estiment que la banque centrale doit avoir une cible d’inflation explicite ; 17 % estiment qu’elle ne devrait pas en avoir. Parmi les répondants de pays dont la banque centrale cible l’inflation, 54 % estiment qu’elle devrait garder la même cible, 30 % estiment qu’elle devrait la relever et 16 % déclarent préférer une cible plus faible. La proposition médiane de ceux qui désirent relever la cible d’inflation est d’environ 3 % ; la proposition médiane de ceux qui désirent la réduire est d’environ 1 %.

En exposant les répondants à un scénario où le changement de la cible est supposé ne provoquer aucun problème de crédibilité pour la conduite de la politique monétaire, Ambrocio et ses coauteurs observent que la proportion de répondants désirant maintenir la cible à son niveau actuel diminue (et que c’est alors plutôt la part de ceux déclarant préférer relever la cible qui augmente), ce qui suggère que les inquiétudes quant à la crédibilité de la banque centrale jouent sur les préférences des répondants. En outre, quand le risque que les taux directeurs puissent être contraints par leur borne inférieure est mis en avant, la proportion de répondants se montrant en faveur d’un relèvement de la cible augmente. 

L’enquête a également cherché à éliciter les préférences plus générales en ce qui concerne le mandat de la banque centrale. Seulement 14 % des répondants préfèrent que celle-ci n’ait pour seul mandat que la seule stabilité des prix ; la plupart des répondants préféreraient que la banque centrale ait d’autres objectifs en plus à la stabilité des prix. C’est l’objectif d’emploi qui apparaît comme le second objectif le plus populaire ; l’idée de cibler le niveau des prix, le niveau du PIB nominal ou son taux de croissance ne reçoit qu’un soutien très limité.


Références

AMBROCIO, Gene, Andrea FERRERO, Esa JOKIVUOLLE & Kim RISTOLAINEN (2022), « What should the inflation target be? Views from 600 economists », Bank of Finland, research discussion paper, n° 2022-7. 

BALL, Laurence (2013), « The case for 4% inflation », Central Bank Review, vol. 13, n° 17. 

BERNANKE, Bernanke S. (2010), « The economic outlook and monetary policy », discours prononcé à la conference de Jackson Hole.

BLANCHARD, Olivier, Giovanni DELL'ARICCIA & Paulo MAURO (2010), « Rethinking macroeconomic policy », FMI, staff position note, n° 10/03.

KRUGMAN, Paul (2014), « Inflation targets reconsidered ».