mercredi 4 mai 2022

Comment la répartition du patrimoine a évolué à long terme en Allemagne

Thilo Albers, Charlotte Bartels et Moritz Schularick (2022) ont reconstitué le patrimoine et sa répartition en Allemagne depuis la fin  dix-neuvième siècle. Pour cela, ils ont combiné les données fiscales, des données d’archives, des données tirées d’enquêtes réalisées auprès des ménages et des données tirées de la comptabilité nationale.

Albers et ses coauteurs constatent que la part de la richesse totale détenue par les 1 % les plus riches a chuté de moitié entre 1895 à aujourd’hui, en passant de 50 % à 27 % (cf. graphique 1). L’essentiel de cette baisse de long terme s’est produite entre 1914 et 1952 : durant l’entre-deux-guerres, avec la Première guerre mondiale, l’hyperinflation, puis la Grande Dépression, la valeur des actifs a chuté davantage que le stock de capital n’a été détruit ; la Seconde Guerre mondiale a été marquée par une forte destruction du stock de capital et elle a été immédiatement suivie par l’adoption du programme Lastenausgleich, qui imposa une forte imposition du patrimoine.

A la fin du dix-neuvième siècle et durant l’essentiel du vingtième siècle, la répartition du patrimoine était moins inégalitaire en Allemagne que dans les autres pays développés (cf. graphique 2). L’Allemagne a connu de bien plus amples changements de régime politique que les autres pays développés, mais elle a pourtant connu une évolution de la répartition du patrimoine assez similaire à celle observée dans ces derniers : parce qu'ils ont été confrontés à des chocs assez similaires, les inégalités de richesse ont eu tendance à baisser dans l’ensemble des pays développés à partir de la Première Guerre mondiale. La Grande Dépression a davantage affecté la part des 1 % les plus riches aux Etats-Unis et en Allemagne qu’en France et au Royaume-Uni, précisément parce qu’elle a été plus sévère dans les premiers que dans les seconds. La baisse des inégalités de richesse s’est par contre stoppée et inversée plus vite en Allemagne que dans les autres pays développés et désormais elles sont relativement plus forte en Allemagne que dans ces derniers, sans pour autant atteindre le niveau qu’elles atteignent aux Etats-Unis. 

Après la réunification en 1990, les ménages les plus riches ont réalisé d’importantes plus-values avec l’essor du patrimoine professionnel, tandis que les classes moyennes ont réalisé d’importantes plus-values sur le marché de l’immobilier. Ne détenant qu’une part négligeable des actifs financiers et du patrimoine immobilier, les plus modestes n’ont guère profité de la hausse du prix des actifs financiers et des logements ces dernières décennies. La valeur du patrimoine n’a guère augmenté pour les 50 % les plus pauvres, tandis qu’elle a doublé pour les 50 % les plus riches : un ménage appartenant aux 10 % les plus riches est à présent en moyenne 100 fois plus riche qu’un ménage appartenant à la moitié inférieure de la répartition, alors que cet écart n’était que de 50 vingt-cinq ans plus tôt. En conséquence, la part de la richesse détenue par les 50 % les plus modestes a diminué de moitié depuis 1990. 


Référence

ALBERS, Thilo N. H., Charlotte BARTELS & Moritz SCHULARICK (2022), « Wealth and its distribution in Germany, 1895-2018 », CESifo, working paper, n° 9739.