jeudi 26 mai 2022

La Fed a-t-elle fait rebasculer l’économie américaine dans la Grande Dépression en 1937 ?

Aux Etats-Unis, la Grande Dépression n’a pas duré sans discontinuité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ; pour être exact, l’économie américaine a connu deux récessions à la suite. Après avoir connu une contraction d’environ 30 % de son PIB réel et de 47 % de sa production industrielle entre 1929 et 1933, elle a amorcé en 1933 une reprise vigoureuse. En 1937, la production était encore inférieure de 15 % à son niveau potentiel (Balke et Gordon, 1986), mais le PNB réel était pratiquement revenu à son niveau au pic d’avant-crise. L’économie américaine rebascula cette année-là dans la récession : le PIB réel chuta de 11 % et la production industrielle de 32 % (Crafts et Fearon, 2010 ; Irwin, 2011).

Pour Milton Friedman et Anna Schwartz (1963), cette nouvelle récession, tout comme la phase la plus aigue de la crise au début de la décennie, tient à des erreurs de politique monétaire. La Réserve fédérale s’inquiétait en effet d’éventuelles répercussions inflationnistes avec la constitution de réserves excédentaires de la part des banques américaines. En trois étapes, d’août 1936 à mai 1937, la banque centrale a doublé les exigences en réserve auxquelles sont soumises les banques sous son autorité. Pour Friedman et Schwartz, ce doublement, en augmentant la demande de réserves, s’est traduit par une contraction de l’offre de monnaie et a poussé en définitive de l’économie américaine dans une nouvelle récession.

En utilisant une nouvelle base de données relatives aux banques individuelles, Charles Calomiris, Joseph Mason et David Wheelock (2022) constatent que les banques commerciales n’ont généralement par réagi au renforcement réglementaire en augmentant leur demande de réserves. A l’époque, toutes les banques ne relevaient pas du système fédéral, or il apparaît que le comportement en matière de crédit des banques qui en étaient membres (et qui étaient donc concernées par le relèvement des exigences en réserves) n’a guère été différent de celui des banques qui n’en étaient pas membres (et qui n’étaient donc pas concernées par la modification réglementaire). 

Calomiris et ses coauteurs rejettent donc l’interprétation friedmanienne : le renforcement des exigences en réserves ne semble pas avoir été responsable de la récession américaine de 1937. Il faut donc se tourner vers d’autres suspects. La littérature en a proposé quelques-uns, notamment l’adoption de l’austérité budgétaire l’année précédente (Crafts et Feron, 2010 ; Irwinn, 2011).

 

Références

BALKE, Nathan, & Robert J. GORDON (1986), « Appendix B: Historical data », in Robert J. Gordon (dir.), The American Business Cycle: Continuity and Change, University of Chicago Press.

CALOMIRIS, Charles W., Joseph R. MASON & David C. WHEELOCK (2022), « Did doubling reserve requirements cause the 1937-38 recession? New evidence on the impact of reserve requirements on bank reserve demand and lending », Federal Reserve Bank of St. Louis, working paper, n° 2022-011. 

CRAFTS, Nicholas, & Peter FEARON (2010), « A recession to remember: Lessons from the US, 1937–1938 », voxEU.org, 23 novembre 2010. 

FRIEDMAN, Milton, & Anna J. SCHWARTZ (1963), A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press. 

IRWIN, Douglas (2011), « What caused the recession of 1937-38? », voxEU.org, 11 septembre.