Depuis que Milton Friedman (1968) a introduit le taux le chômage naturel dans son attaque contre la courbe de Phillips, celui-ci est devenu un élément clé de l’analyse macroéconomique mainstream. Chez les nouveaux keynésiens, le taux de chômage naturel est le taux de chômage qui serait observé si l’économie était à l’équilibre ; ce serait celui qui stabiliserait l’inflation. Autrement dit, le maintien du taux de chômage en-dessous du taux naturel se traduirait par des pressions inflationnistes, tandis que le maintien du taux de chômage au-dessus de son niveau naturel se traduirait par des pressions déflationnistes. Les nouveaux keynésiens font l’hypothèse qu’il est à peu près stable au cours du cycle d’affaires, notamment lorsqu’ils se penchent sur le cas de la courbe de Phillips.Robert Hall et Marianna Kudlyak (2023) ont au contraire développé l’idée que le taux de chômage naturel ne reste pas insensible lors du cycle d’affaires. En l’occurrence, il aurait tendance à baisser durant les reprises, si bien que l’écart entre le taux de chômage courant et le taux naturel resterait assez proche de zéro durant les reprises, ce qui ferait que la baisse du taux de chômage avec le reprise n’alimente pas les tensions inflationnistes.
C’est ce que suggère la longue reprise que connut l’économie américaine au sortir de la Grande Récession (cf. graphique 1). En effet, durant l’expansion qui débuta en 2009 et qui finit début 2020 avec la pandémie, l’inflation est restée proche de la cible de 2 % de la réserve fédérale. Au cours de cette période, le taux de chômage est passé de 10,0 % à 3,5 %. Hall et Kudlyak en concluent que le taux de chômage naturel a suivi la même trajectoire.
Ils se sont alors tournés vers les autres reprises qu’a connues l’économie américaine depuis 1948. Dans une précédente étude, ils avaient noté que la baisse du taux de chômage lors des précédentes reprises présentait le même profil : après avoir brutalement augmenté lors d’une récession, le taux de chômage tend à baisser lentement, mais régulièrement (cf. graphique 2) (Hall et Kudlyak, 2022). Le fait que le taux de chômage observé tende à se comporter toujours de la même façon lors des reprises pourrait signaler que le taux de chômage naturel se comporte aussi de la même façon.
Ce constat a plusieurs implications. Beaucoup avaient conclu à un aplatissement de la courbe de Phillips ces dernières décennies, notant une faible réponse de l’inflation au chômage. Pour Hall et Kudlyak (2023), l’apparente horizontalité de la courbe de Phillips est en fait une illusion, tenant à l'adoption de l’hypothèse que le taux de chômage naturel ne varie guère durant les reprises. Une fois la corrélation entre taux de chômage observé et taux de chômage naturel prise en compte, la vraie pente de la courbe de Phillips demeure, voire même s’accroît, lorsque le taux de chômage diminue.
Une autre implication est que le marché du travail peut connaître d’importants changements lorsque l’environnement macroéconomique est bouleversé, comme dans le sillage de la pandémie de Covid-19. En 2021 et au début de l’année 2022, l’inflation a augmenté sans que le chômage diminue, puis l’inflation a commencé à baisser sans que le chômage augmente. Ainsi, Hall et Kudlyak en concluent que les prix pourraient jouer un plus grand rôle dans la stabilisation de la production que ne le suggèrent les modèles à prix visqueux.
Références
HALL,Robert E.,& Marianna KUDLYAK (2023), « The inexorable recoveries of unemployment », in Journal of Monetary Economics, vol. 131, n° 15.