Les entreprises ont eu tendance à gagner en pouvoir de marché ces dernières décennies (De Loecker et al., 2020). Ainsi, lorsque l’inflation a fortement augmenté dans le sillage de la pandémie de Covid-19, essentiellement sous l’effet d’une hausse des prix de l’énergie, certains ont pu espérer que les entreprises absorbent une partie de la hausse des coûts en rognant sur leurs marges plutôt qu’en répercutant la hausse des coûts sur leurs prix de vente, et ce d’autant plus que leurs marges étaient initialement élevées. Dans ce cas-là, l’absorption de la hausse des coûts par les marges contribue à freiner les pressions inflationnistes.
Mais, d’un autre côté, les entreprises disposant d’un fort pouvoir de marché sont, par définition, plus à même de répercuter la hausse de leurs coûts sur leurs prix de vente sans perdre beaucoup de clientèle et, une fois que leurs coûts refluent, en profiter pour ne pas répercuter la baisse des coûts sur leurs prix de vente. Dans ce cas-là, elles peuvent même accroître davantage leurs marges, mais elles le font en alimentant l’inflation (Weber et Wasner, 2023 ; Arquié et Thie, 2023).
La crainte que le second comportement domine est légitimée par la relation asymétrique entre les coûts des intrants et les prix à la consommation (cf. graphique). Aux Etats-Unis, par exemple, quand les prix des intrants augmentent, la relation entre eux et les prix de la production est assez forte : quand les prix des intrants augmentent, les prix de la production ont clairement tendance à augmenter. Par contre, dans le cas d’une chute du prix des intrants, la relation entre ces derniers et prix de la production est plus lâche : quand les prix des intrants baissent, les prix de la production ne présentent pas de tendance claire.
A partir de données relatives à l’économie américaine, Enisse Kharroubi, Renée Spigt, Deniz Igan, Koji Takahashi et Egon Zakrajšek (2023) ont cherché à déterminer dans quelle mesure le degré de marges influence la transmission des chocs et contre-chocs pétrolier sur les prix à la production.
En se penchant tout d’abord sur des données relatives au niveau sectoriel, Kharroubi et ses coauteurs constatent que la transmission des chocs pétroliers est plus limitée dans les secteurs présentant une forte marge. Cela dit, des marges élevées réduisent essentiellement la transmission des contre-chocs pétroliers, c’est-à-dire lorsque les prix de l’énergie ont tendance à chuter et non lorsqu’ils ont tendance à augmenter. La taille des marges n’influence guère la transmission des chocs pétroliers, c’est-à-dire des chocs accroissant les prix de l’énergie.
En se tournant ensuite vers des données au niveau des entreprises prises individuellement, Kharroubi et ses coauteurs constatent également que les entreprises présentent des marges élevées sont bien plus susceptibles d’accroître leurs marges et leurs recettes suite aux contre-chocs pétroliers, mais qu’il n’y a pas de différences significatives entre les entreprises à forte marge et les entreprises à faible marge dans le cas des chocs inflationnistes.
Ces divers suggèrent, d’une part, que des marges élevées ne jouent guère le rôle de tampon absorbant face aux chocs inflationnistes et, d’autre part, que les entreprises à forte marge profitent des chocs désinflationnistes pour augmenter leurs marges, ce qui contribue certainement à freiner la désinflation.
Références