mercredi 22 novembre 2023

Les coûts macroéconomiques de la dollarisation

Lorsqu’un pays est confronté chroniquement à une forte inflation, il peut être tenté d’abandonner sa monnaie pour adopter une devise étrangère. En l’occurrence, il peut être tenté d’adopter le dollar américain, la principale devise internationale, comme nouvelle monnaie : c’est ce qu’on appelle la « dollarisation ». Javier Milei vient d’être élu président de l’Argentine sur la base d’un programme promettant l’abandon du peso pour le dollar. D’autres pays, notamment latino-américains, ont dollarisé leur économie ces dernières décennies, formellement (c’est le cas de l’Equateur en 2000 et du Salvador en 2011) ou informellement (le Venezuela depuis quelques années). 

La littérature a mis en avant plusieurs coûts associés à la dollarisation (Alesina et Barro, 2001 ; Calvo, 2002 ; Caravello et al., 2023). L’un d’eux est le transfert du seigneuriage au reste du monde. Un autre est la perte d’indépendance de la politique monétaire dans la détermination du taux de change et des taux d’intérêt domestiques (Fischer, 1982). En l’occurrence, la banque centrale se retrouve avec une marge de manœuvre limitée en cas d’une fluctuation excessive du taux de change ou si l’économie domestique subit un choc, par exemple si elle bascule dans la récession (Schmitt-Grohé et Uribe, 2001). Les coûts d’une perte de seigneuriage peuvent être élevés, mais assez lissés dans le temps, tandis que les coûts de la perte d’autonomie de la politique monétaire ne se manifestent pas forcément dans l’immédiat. Par contre, les bénéfices d’une dollarisation, en l’occurrence la baisse de l’inflation, peuvent être assez immédiats. C’est notamment parce que les bénéfices d’une dollarisation sont susceptibles d’apparaître plus rapidement que ses coûts qu’elle peut être politiquement attrayante.  

Tomás Caravello, Pedro Martinez-Bruera et Iván Werning (2023) se sont penchés sur un autre coût que la littérature a négligé, mais qui est susceptible de se manifester à court terme. En l’occurrence, ils se sont demandé quelles seraient les conséquences de la dollarisation d’une économie confrontée initialement à une pénurie de dollars ; la conversion de la devise nationale en dollars se fait alors à un taux défavorable. Caravello et ses coauteurs observent ces effets dans le cadre d’un modèle en économie ouverte à deux secteurs, le premier produisant des biens échangeables et le second produisant des biens non échangeables. 

Selon la modélisation, la dynamique qui résulte d’une telle dollarisation s’apparente à celle d’un « arrêt soudain » dans les entrées de capitaux : la consommation de biens échangeables s’écroule pour accumuler de la devise étrangère. En général, cela se traduit par une baisse temporaire du taux de change réel, due à la baisse des prix et salaires domestiques. En raison des rigidités nominales, l’économie bascule dans la récession ; Caravello et ses coauteurs estiment que c’est également le cas si tous les prix et tous les salaires peuvent pleinement s’ajuster à l’annonce de la dollarisation. Cette récession finit par être suivie par une reprise de l’activité économique, comme l’économie accumule des dollars et le taux de change chute et devient sous-évalué.


Références

CALVO, Guillermo A. (2002), « On dollarization », in Economics of Transition, vol. 10, n° 2. 

CARAVELLO, Tomás E., Pedro MARTINEZ-BRUERA & Iván WERNING (2023), « Dollarization dynamics », NBER, working paper, n° 31296. 

FISCHER, Stanley, « Seigniorage and the case for a national money », in Journal of Political Economy, vol. 90, n° 2.