Lorsque les entreprises disposent d’un pouvoir de marché, elles tendent à fixer un prix plus élevé qu’elles n’auraient fixé dans une situation de pleine concurrence. Si elles ne contrôlent pas le prix, mais juste la quantité qu’elles produisent, elles peuvent délibérément réduire l’offre pour faire augmenter les prix. Les entreprises peuvent alors peut-être augmenter leurs profits. En revanche, cette situation nuit clairement au consommateur : par rapport à une situation de pleine concurrence, non seulement les demandeurs achètent une quantité moindre de produit, mais en outre ils l’achètent à un prix plus élevé.
James Buchanan (1969) a toutefois suggéré une possible vertu du pouvoir de marché des entreprises, à savoir celle de réduire la production et la consommation de produits sources d’externalités négatives.
Ce pourrait être le cas du marché du pétrole. D’une part, celui-ci est oligopolistique. Les décisions de l’OPEP, constituant un véritable cartel, affectent directement la production de pétrole. L’organisation a ainsi régulièrement restreint sa production pour stimuler les cours du pétrole et ainsi ses profits. D’autre part, la consommation de pétrole est source d’importantes externalités négatives. En dégageant du carbone, elle contribue significativement au changement climatique. Autrement dit, le pouvoir de marché des compagnies pétrolières pourrait de façon inattendue contribuer à freiner le changement climatique.
John Asker, Allan Collard-Wexler, Charlotte De Canniere, Jan De Loecker et Christopher Knittel (2024) ont précisément testé l’hypothèse de Buchanan dans le cadre du marché du pétrole. Ils ont comparé les émissions de carbone telles qu’elles sont dans la situation oligopolistique observée dans la réalité avec le niveau des émissions de carbone qui aurait été observé si le marché du pétrole avait été parfaitement concurrentiel.
Ils concluent que le pouvoir de marché réduit de façon significative les émissions dans le secteur du pétrole. Selon leurs estimations, le pouvoir de marché de l’OPEP a réduit les émissions de près de 97 gigatonnes de CO2 entre 1970 et 2021 par rapport au niveau qui aurait été observé en l’absence d’un tel pouvoir de marché. Ils ont ensuite comparé les trajectoires observée et contrefactuelle des émissions de CO2 en s’appuyant sur le modèle DICE (Nordhaus, 2016). Ils concluent que le volume de carbone épargné par le pouvoir de marché correspond à 4.073 milliards de dollars en dommages climatiques évités et à 17,8 % du budget carbone nécessaire pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, c’est-à-dire maintenir la hausse des températures en-deçà des 1,5 °C.
Références