Tout au long de son premier mandat de la Président des Etats-Unis, Donald Trump a régulièrement critiqué les décisions de la Réserve fédérale et l’a appelée à adopter une politique monétaire plus accommodante. Lors de la dernière campagne, il a poursuivi ses critiques contre les responsables de la banque centrale, en particulier de son président, Jerome Powell, et suggéré qu’il reviendrait sur son indépendance. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire américaine que le Président en place fasse pression sur la banque centrale pour que celle-ci assouplisse sa politique monétaire. L’exemple le plus illustratif est peut-être celui de la relation entre Nixon et le président de la Réserve fédérale Burns, en particulier à la veille de la réélection du premier.
Plusieurs travaux empiriques ont souligné les bénéfices économiques d’une indépendance politique de la banque centrale (Alesina et Summers, 1993 ; Dincer et Eichengreen, 2014). Cette littérature a notamment établi des indicateurs mesurant le degré d’indépendance des banques centrales et constaté que ces indicateurs étaient négativement et significativement corrélés avec le taux d’inflation. Une telle relation est interprétée comme dénotant la causalité suivante : une plus grande indépendance de la banque centrale entraîne une plus faible inflation (1). L’idée serait qu’une banque centrale plus indépendante est moins poussée par le gouvernement à assouplir sa politique monétaire pour stimuler l’activité économique, ce qui aurait en outre pour effet de mieux ancrer les anticipations d’inflation à un faible niveau. Dans les modélisations de la domination budgétaire (fiscal dominance), comme celle proposée par Sargent et Wallace (1981), les gouvernements seraient tentés de faire pression sur la banque centrale pour financer leurs déficits.
Thomas Drechsel (2024) s’est appuyé sur une stratégie d’identification narrative pour identifier les pressions politiques sur la Réserve fédérale et en quantifier les effets macroéconomiques. Il s’est notamment appuyé sur les données d’archives pour recenser les interactions entre les différents Présidents des Etats-Unis et responsables de la Réserve fédérale sur la période allant de 1933 à 2016. Il note notamment une ample variation dans la fréquence des interactions entre le Président des Etats-Unis et la Réserve fédérale d’un mandat présidentiel à l’autre : alors qu’il n’y a eu que six interactions sous l’administration Clinton, Drechsel en enregistre 160 sous l’administration Nixon (cf. graphique 1). Il définit alors un choc de pressions politiques comme une hausse des interactions entre le Président des Etats-Unis et la Fed qui assouplit la politique monétaire d’une façon inflationniste.
Un choc de pression politique transitoire conduit à une hausse forte et durable de l’inflation. Une hausse de 10 interactions entre le Président des Etats-Unis et le président de la Fed se traduit par une baisse du taux directeur de 100 points de base ; le niveau des prix s’en trouve augmenté de 5 % quatre ans après. Exercer pendant six mois la moitié des pressions que Nixon a pu exercer sur Burns se traduit par une hausse de 8 % du niveau des prix après une décennie. Quant à l’activité réelle, les pressions politiques semblent se traduire par une légère baisse du PIB. Autrement dit, les pressions politiques que le Président des Etats-Unis exerce sur le président de la Fed se révèlent plutôt contre-productives.
Les pressions politiques n’ont pas contribué à l’inflation selon sous l’administration Nixon. Drechsel estime que les chocs de pressions politiques se sont principalement produits dans les années 1970, sous les administrations Nixon et Ford. Elles ont également joué un rôle significatif sous l’administration Johnson, mais guère de rôle sous l’administration Clinton.
(1) Bien sûr, corrélation ne signifie pas nécessairement causalité. Et si une causalité est effectivement à l’œuvre, elle pourrait aller en sens inverse : historiquement, les banques centrales ont pu gagner en indépendance précisément parce qu’elles cherchaient à lutter contre l’inflation.
Références