jeudi 16 mars 2023

Dans quelle mesure la fiscalité du patrimoine affecte-t-elle les inégalités de richesse ? Une petite leçon suisse

Les inégalités de patrimoine ont eu tendance à se creuser dans les pays développés au cours des quatre dernières décennies. Durant cette période, l’imposition du patrimoine a pu avoir tendance à devenir moins progressive ; cela a été le cas en Europe, où plusieurs pays ont abandonné l’impôt sur la fortune depuis le milieu des années 1990. L’une des questions qui se posent est de savoir dans quelle mesure cette érosion de la progressivité de l’imposition du patrimoine a pu contribuer à creuser les inégalités de richesse. La seconde, réciproque, est de savoir dans quelle mesure l’imposition du patrimoine s’avère un outil efficace pour réduire les inégalités de richesse ; c’est notamment la question à laquelle se sont attaqués Emmanuel Saez et Gabriel Zucman (2019) dans le cas des Etats-Unis.

La Suisse s’avère être un pays intéressant pour s’interroger dessus. Comme bien d’autres pays, elle a eu tendance à connaître une hausse des inégalités de patrimoine ces dernières décennies. Elle est l’un des rares pays européens à avoir gardé un impôt sur la fortune. Sa fiscalité du patrimoine se singularise toutefois par le fait qu’elle diffère d’un canton à l’autre. Cette hétérogénéité fiscale offre un cadre « quasi-expérimental » pour observer les effets des changements de fiscalité du patrimoine sur la répartition de ce dernier.

Ainsi, dans une nouvelle étude, Samira Marti, Isabel Martinez et Florian Scheuer (2023) ont observé la distribution du patrimoine dans chacun des vingt-six cantons suisses depuis 1969. Ils constatent tout d’abord que la répartition du patrimoine et son évolution ont été très différentes d’un canton à l’autre. Dans certains cantons, comme celui de Zurich, la part du patrimoine détenue par les 1 % les plus aisés a diminué au cours des cinquante dernières années. Dans d’autres, elle a augmenté ; en l’occurrence, elle a quasiment doublé dans certains, par exemple dans celui de Schwyz.

Dans un deuxième temps, Marti et alii ont profité des différences cantonales en matière de fiscalité pour réaliser une étude d’événement et ainsi déterminer les effets que les changements dans la fiscalité ont eus sur la concentration du patrimoine. En se focalisant sur les grandes réformes fiscales et en contrôlant la fiscalité du revenu et de l’héritage, ils constatent que les baisses du taux marginal d’imposition du patrimoine dans un canton donné y ont augmenté la concentration du patrimoine au cours de la décennie suivante, et inversement. En l’occurrence, une baisse du taux marginal d’imposition de 0,1 point de pourcentage a tendance à augmenter la part du patrimoine détenue par les 1 % les plus aisés de 0,9 point de pourcentage et celle des 0,1 % les plus aisés de 1,2 points de pourcentage au cours des cinq années qui suivent les réformes fiscales.

Les changements en matière de fiscalité du patrimoine réalisés dans les différents cantons ont eu un effet significatif sur la répartition des richesses au niveau du pays. En effet, Marti et ses coauteurs estiment que les baisses d’imposition du patrimoine réalisées ces cinquante dernières années expliqueraient 18 % de la hausse de la part du patrimoine détenue par les 1 % les plus aisés et 25 % de la hausse de la part du patrimoine détenue par les 0,1 % les plus aisés.


Références

MARTI, Samira, Isabel Z. MARTÍNEZ & Florian SCHEUER (2023), « Does a progressive wealth tax reduce top wealth inequality? Evidence grom Switzerland », discussion paper, n° 17989. 

SAEZ, Emmanuel, & Gabriel ZUCMAN (2019), « Progressive wealth taxation », Brookings Papers on Economic Activity