jeudi 23 mars 2023

Quel est l’effet de la dette publique sur les anticipations d’inflation ?

Dans les pays développés, les dettes publiques atteignaient des niveaux historiquement élevés dans le sillage de la crise financière mondiale ; elles ont de nouveau augmenté aux premiers temps de l’épidémie de Covid-19. En outre, la pandémie a été suivie par une forte hausse de l’inflation ; cette dernière a renoué dans les pays développés avec des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis plusieurs décennies.

S’interrogeant sur l’éventuel lien entre cet emballement de l’inflation et les niveaux atteints par les dettes publiques, Francesco Grigoli et Damiano Sandri (2023) ont examiné les résultats d’une enquête qui a été menée auprès de ménages aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Brésil et qui visait précisément à mettre au jour l’effet de la dette publique sur les anticipations d’inflation. Cette enquête a cherché dans un premier temps à éliciter les anticipations d’inflation des répondants et leurs croyances quant à la dette publique. Dans un deuxième temps, un groupe de traitement, constitué aléatoirement, a été informé du niveau correct de la dette publique domestique, ce qui permet aux enquêteurs d’observer comment la révision des croyances a priori modifie les anticipations d’inflation. 

Grigoli et Sandri constatent qu’en général les personnes sous-estiment fortement les niveaux de dette publique et qu’elles révisent fortement leurs anticipations d’inflation lorsqu’elles sont informées des niveaux corrects de dette publique. L’ampleur des révisions d’anticipations d’inflation est proportionnelle à l’erreur quant au niveau de dette publique. En l’occurrence, les individus qui sous-estiment le plus le niveau de dette publique tendent à être ceux qui révisent le plus fortement leurs anticipations d’inflation. L’effet est significatif dans la mesure où une correction du niveau de dette publique équivalente à 10 % du PIB est associée à une révision de 0,6 point de pourcentage des anticipations d’inflation à un an. Grigoli et Sandri jugent ce résultat particulièrement inquiétant dans la mesure où la dette publique a atteint actuellement des niveaux particulièrement élevés et où les individus sous-estiment fortement ceux-ci : si le niveau de la dette publique devient plus saillant à la population, il est à craindre que celle-ci relève significativement ses anticipations d’inflation.

L’analyse des réponses suggère également que la crédibilité de la banque centrale joue un rôle dans l’ancrage des anticipations d’inflation. En effet, les personnes qui se montrent les plus confiantes quant à la détermination de la banque centrale à maintenir l’inflation à un faible niveau tendent à moins réviser leurs anticipations d’inflation que les autres répondants. En outre, ceux qui croient le plus en la capacité du gouvernement à maîtriser ses finances semblent également moins avoir tendance à moins réviser leurs anticipations d’inflation.

Grigoli et Sandri se sont ensuite penchés sur les mécanismes que les répondants ont en tête lorsqu’ils associent la dette publique et l’inflation. L’analyse des réponses ne suggère pas qu’un niveau élevé de dette publique suscite des inquiétudes quant à un risque de dominance budgétaire. Une fois informées quant au niveau exact de dette publique, les personnes appartenant au groupe de traitement ne sont pas davantage susceptibles de penser que la banque centrale va faire « tourner la planche à billets » pour financer le gouvernement que les personnes appartenant au groupe de contrôle.

Par contre, l’analyse des réponses suggère que les répondants interprètent des niveaux élevés de dette publique comme des chocs d’offre négatifs, c’est-à-dire comme entraînant à la fois une hausse de l’inflation et du chômage. Grigoli et Sandri estiment que ce constat rassure en partie en ce qui concerne les risques inflationnistes associés à une dette publique élevée. En effet, il suggère selon eux qu’une révision à la hausse des anticipations d’inflation due à un niveau élevé de dette publique a peu de chances de stimuler la demande globale, donc l’inflation, dans la mesure où les individus s’attendent à une détérioration des perspectives économiques.


Référence

GRIGOLI, Francesco, & Damiano SANDRI (2023), « Public debt and household inflation expectations », FMI, working paper, n° 23/66.