Aux Etats-Unis, les tensions sur le marché du travail ont été très fortes suite à la pandémie. Le taux de chômage s’élevait en novembre dernier à 3,7 % et le taux de postes vacants à 7 %, soit un niveau historiquement élevé (cf. graphique 1). Pour beaucoup, elles s’expliqueraient notamment par une tendance déjà à l’œuvre avant la pandémie, en l’occurrence la baisse du taux d’activité (cf. graphique 2). En effet, lors de la pandémie, le taux de chômage a bondi et le taux d’activité a chuté. Mais alors que le taux de chômage est revenu à son niveau d’avant-crise, le taux d’activité est resté un point de pourcentage inférieur à celui observé en 2019, à la veille de la pandémie.
Beaucoup ont évoqué un phénomène de « Grande Démission » (Great Resignation) pour désigner la possible tendance de certains travailleurs, suite à la pandémie, à quitter la vie active ou bien à trouver un nouvel emploi, plus flexible et avec une moindre durée du travail que le précédent. Plus récemment, certains ont utilisé le terme de « Démission silencieuse » (Quiet Quitting) pour désigner la tendance de certains travailleurs, non pas à quitter la vie active, mais à donner moins d'importance au travail et à chercher à trouver un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, notamment en réduisant leur temps de travail.
Pour mieux comprendre les tensions observées sur le marché du travail américain dans le sillage de la pandémie, Dain Lee, Jinhyeok Park et Yongseok Shin (2023) ont décomposé la variation des heures travaillées entre marge extensive (la variation du nombre de travailleurs) et la marge intensive (la variation du nombre d’heures travaillées par travailleur) pour la période postérieure à 2007.
Dans le sillage de la Grande Récession, puis de la reprise subséquente, la baisse du nombre d’heures travaillées s’expliquait avant tout du côté de la marge extensive, en particulier par la baisse du taux d’activité des jeunes hommes sans diplôme équivalent au baccalauréat. La réduction du nombre de travailleurs s’est poursuive après la pandémie et elle contribue à expliquer une partie de la baisse du nombre d’heures travaillées observée entre 2019 et 2022. Cela dit, plus de la moitié de cette dernière s’explique du côté de la marge intensive, c’est-à-dire par la baisse du nombre d’heures travaillées par travailleur.
En creusant davantage, Lee et ses coauteurs concluent que la récente baisse des heures travaillées est essentiellement volontaire. Ils notent également que la baisse du nombre d’heures a été plus forte pour les hommes que pour les femmes. Parmi les hommes, la baisse du nombre d’heures a été plus forte pour ceux ayant un diplôme équivalent au baccalauréat que pour ceux ayant un niveau de diplôme inférieur ; elle a été plus forte pour les jeunes travailleurs que pour les travailleurs plus âgés ; et elle a été plus forte pour les travailleurs qui travaillaient initialement le plus longtemps et avaient une rémunération élevée.
La baisse du nombre d’heures travaillées peut expliquer pourquoi le marché du travail américain est plus tendu que ce qui est habituellement attendu pour les niveaux actuellement atteints par le taux de chômage et le taux d’activité. Certes, la baisse du nombre d’heures travaillées par travailleur a été provoquée par la pandémie, mais Lee et ses coauteurs estiment qu’elle devrait persister, si bien qu’ils concluent qu’elle devrait continuer d’alimenter les tensions sur le marché du travail.
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