samedi 14 janvier 2023

Comment les banques centrales des pays émergents réagissent-elles à un resserrement de la politique monétaire américaine ?

Afin de contenir l’emballement de l’inflation aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a amorcé en mars dernier un cycle de hausses de son taux directeur. Or, les resserrements de la politique monétaire américaine sont susceptibles de nuire aux pays émergents.

En effet, si les taux d’intérêt augmentent aux Etats-Unis, les capitaux sont davantage susceptibles de quitter les pays émergents pour profiter de la hausse des rendements des placements aux Etats-Unis. En outre, ces sorties de capitaux tendent à déprimer le taux de change des pays émergents. Cette dépréciation du taux de change est non seulement susceptible de dégrader directement l’activité économique domestique, notamment en alimentant l’inflation, mais elle augmente également le poids de l’endettement des résidents qui se sont endettés en devises étrangères. Plus indirectement, les resserrements monétaires de la Fed sont susceptibles de dégrader les exportations des pays émergents en déprimant l’activité économique aux Etats-Unis. Les banques centrales des pays émergents sont alors confrontées à un dilemme : elles pourraient relever leurs taux directeurs pour contenir le différentiel de taux d’intérêt avec les Etats-Unis et la dépréciation de leur monnaie, mais ce resserrement monétaire est susceptible de déprimer davantage l’activité économique domestique. 

En s’appuyant notamment sur des entretiens qu’il a réalisés avec 32 banquiers centraux des pays émergents, Gonzalo Huertas (2022) a cherché à savoir comment les banques centrales des pays émergents réagissent à un resserrement de la politique monétaire américaine et à éclairer les raisons qui motivent leurs décisions. 

Il constate que la plupart des banques centrales des pays émergents réagissent à un resserrement de la politique monétaire américaine en relevant leurs propres taux directeurs, et ce indépendamment de leur régime de change. Cela dit, elles ne resserrent alors pas leur politique monétaire pour les mêmes raisons. Dans les pays qui administrent leur taux de change, la banque centrale est davantage susceptible de relever ses taux directeurs pour réduire le différentiel de taux d’intérêt avec ceux des Etats-Unis et ainsi pour empêcher des sorties de capitaux. Dans les pays qui laissent flotter leur taux de change, la banque centrale est davantage susceptible de relever ses taux pour éviter que la dépréciation du taux de change n’alimente l’inflation domestique ; autrement dit, ses resserrements monétaires visent avant tout à préserver la stabilité des prix.

En plus de l’ajustement de leurs taux directeurs, Huertas note que les banques centrales des pays émergents réagissent souvent à un resserrement de la politique monétaire américaine en intervenant sur le marché des changes. Ce sont surtout les banques centrales des pays qui administrent leur taux de change qui opèrent de telles interventions. En l’occurrence, les banques centrales s’appuient souvent sur les interventions sur le marché des changes par peur qu’une hausse des taux directeurs nuise excessivement à l’activité économique domestique. 

En définitive, les observations de Huertas confortent l’idée que les petites économies ouvertes ne feraient pas face à un « trilemme » à la Mundell (1963) : le flottement de leur taux de change ne les isole pas des chocs touchant les taux d’intérêt mondiaux (Rey, 2013 ; Miranda-Agrippino et Rey, 2020).


Références

HUERTAS, Gonzalo (2022), « Why follow the Fed? Monetary policy in times of U.S. tightening », FMI, working paper, n° 22/243.

MIRANDA-AGRIPPINO, Silvia, & Hélène REY (2020), « U.S. monetary policy and the global financial cycle », The Review of Economic Studies, vol. 87, n° 6. 

MUNDELL, Robert A. (1963), « Capital mobility and stabilization policy under fixed and flexible exchange rates », The Canadian Journal of Economics and Political Science, vol. 29, n° 4. 

REY, Hélène, (2013), « Dilemma not trilemma: The global cycle and monetary policy independence », document de travail présenté à la conférence de Jackson Hole, le 23 août.