Les flux migratoires sont susceptibles d’entraîner des changements culturels. Dans les pays de destination des flux migratoires, les immigrés adoptent plus ou moins rapidement les valeurs des natifs (via l’assimilation), tandis que ces derniers peuvent adopter certains traits culturels des immigrés (via la dissémination). Paola Giuliano et Marco Tabellini (2020) ont ainsi observé que la présence historique d’immigrés d’Europe aux Etats-Unis avait renforcé les préférences pour la redistribution parmi les individus nés aujourd’hui aux Etats-Unis.
Mais si les valeurs des immigrés sont jugées comme « inférieures » par les autochtones ou si l’immigration est perçue par ces derniers comme une source d’érosion de leur culture, elle peut susciter des tensions sociales et alimenter ainsi une véritable polarisation culturelle. Dans plusieurs démocraties d’Occident, les récentes vagues d’immigration ont pu alimenter de telles tensions et celles-ci se sont notamment manifestées à travers l’essor du populisme d’extrême-droite (Norris et Inglehart, 2019 ; Guriev et Papaioannou, 2020 ; Rodrik, 2020).
Mais les canaux via lesquels la migration est susceptible d’entraîner un changement culturel sont bien plus nombreux et complexes. D’une part, si des personnes décident d’émigrer vers un pays, c’est certainement parce que celui-ci exerce sur eux une certaine « attraction » culturelle. D’autre part, il n’y a pas que le pays hôte qui est susceptible de connaître des changements culturels sous l’effet de la migration ; cette dernière peut également entraîner des changements culturels au sein des pays d’origine.
Dans une nouvelle étude publiée par IZA, Hillel Rapoport, Sulin Sardoschau et Arthur Silve (2021) se sont demandé si la migration est une source de convergence ou de divergence culturelle entre les pays d’origine et les pays de destination. En utilisant les données tirées de la World Value Survey pour la période allant de 1981 à 2014, ils ont construit des mesures de similarité culturelle pour un grand nombre de paires de pays. Ils ont ensuite analysé l’effet de la migration sur la similarité culturelle entre les pays d’origine et les pays de destination.
Rapoport et ses coauteurs ont alors observé une corrélation positive et significative entre la migration et la similarité culturelle : une convergence culturelle semble à l’œuvre sous l’effet de la migration. En outre, il apparaît que ce sont les transferts culturels qui constituent le principal moteur derrière cette convergence culturelle : les immigrés diffusent la culture de leur pays de destination à leur pays d’origine, ce qui rapproche culturellement ce dernier du premier.
Ce résultat remet en cause une idée souvent répétée par l’extrême-droite : il apparaît que les immigrés agissent certes comme des vecteurs de diffusion culturelle, mais essentiellement en exportant la culture de leur pays hôte à leur pays d’origine. Autrement dit, c’est la fiction d’un « grand remplacement » culturel que cette étude balaye.
Références
NORRIS, Pippa, & Ronald F. INGLEHART (2019), Cultural Backlash: Trump, Brexit, and Authoritarian Populism, Cambridge University Press.