jeudi 9 septembre 2021

La rigidité des taux d’intérêt à la baisse : quelles implications pour la politique monétaire ?

Les analyses empiriques suggèrent que les taux prêteurs des banques sont rigides à la baisse : les banques tendent à ajuster leurs taux aux variations des taux du marché interbancaire plus lentement et moins amplement lorsque ces derniers diminuent que lorsqu'ils augmentent. La littérature explique souvent ce constat en mettant en avant la nature imparfaite de la concurrence sur le marché bancaire : les banques disposent d’un certain pouvoir de marché, si bien qu’elles peuvent être tentées de ne pas ajuster pleinement leurs taux à la baisse pour accroître leur marge de profit (Hannan et Berger, 1991). Il pourrait également y avoir un phénomène d’antisélection : les banques pourraient craindre d’attirer des emprunteurs risqués si elles baissaient leurs taux prêteurs (Ausubel, 1991). Dans tous les cas, une telle asymétrie dans l’ajustement des taux des banques est susceptible de rendre également asymétrique la transmission de la politique monétaire à l'activité économique et à l'inflation.

Dans un nouveau document de travail de la Banque de France, Grégory Levieuge et Jean-Guillaume Sahuc (2021) ont étudié les implications macroéconomiques de cette rigidité à la baisse des taux d’intérêt à travers un modèle DSGE intégrant des contraintes d'emprunt et une concurrence imparfaite dans le secteur bancaire. En calibrant ce modèle à l’économie de la zone euro, ils ont comparé les effets de divers chocs sur l’économie réelle. Levieuge et Sahuc observent alors qu’une baisse donnée des taux de la banque centrale stimulera moins la demande qu’une hausse de ses taux d’une même ampleur ne freinera la demande. En l’occurrence, la banque centrale aurait à baisser ses taux d’un surcroît de 20 % à 100 % pour obtenir le même impact (symétrique) à moyen terme sur le PIB qu’une hausse donnée des taux.  

En se penchant sur l’expérience de la BCE postérieure à l’année 2012, Levieuge et Sahuc montrent aussi que la rigidité des taux d’intérêt à la baisse est encore plus forte lorsque les taux directeurs sont contraints par leur borne inférieure effective, ce qui perturbe alors davantage la transmission des assouplissements monétaires. Cela s’explique essentiellement par l’existence d’une borne inférieure sur les taux sur les dépôts, mais aussi d’une borne inférieure sur les taux prêteurs des banques. 

De telles observations plaident pour que les banques centrales répondent plus agressivement à un choc de demande négatif qu’elles ne répondraient à un choc de demande positif de la même ampleur. Afin d’assouplir davantage sa politique monétaire, une banque centrale peut peut-être recourir à des mesures non conventionnelles comme les achats d’actifs à grande échelle. La rigidité des taux d’intérêt pourrait également justifier l’usage de la politique budgétaire en combinaison à la politique monétaire lorsque l’économie subit des chocs de demande négatifs, a fortiori lorsque les taux directeurs butent sur leur borne inférieure.


Références

AUSUBEL, Lawrence M. (1991), « The failure of competition in the credit card market », American Economic Review, vol. 81. 

HANNAN, Timothy H., & Allen N. BERGER (1991), « The rigidity of prices: Evidence from the banking industry », American Economic Review, vol. 81.

LEVIEUGE, Grégory & Jean-Guillaume SAHUC (2021), « Downward interest rate rigidity », Banque de France, working paper, n° 828.