mercredi 29 septembre 2021

La faible inflation coude la courbe de Phillips

Beaucoup ont suggéré que la courbe de Phillips a eu tendance à s’aplatir ces dernières décennies : la relation entre, d’une part, le chômage ou le degré de capacités inutilisées dans l’économie et, d’autre part, l’inflation des prix s’affaiblirait. Alors que par le passé l’inflation s’accélérait lorsque l’économie se rapprochait du plein emploi et, au contraire, ralentissait, voire laissait place à la déflation, lorsqu’elle s’en éloignait, l’ampleur des capacités inutilisées semble de moins en moins affecter l’inflation, au point que certains ont même jugé que la courbe de Phillips était morte.

Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer l’apparent aplatissement de la courbe de Phillips. L’un des facteurs régulièrement mis en avant est la mondialisation : à mesure que les économies s’ouvrent, chaque producteur se retrouve face à une concurrence plus forte, si bien que l’inflation domestique dépendrait de moins en moins de l’output gap domestique, mais de plus en plus de l’output gap mondial. Kristin Forbes (2020) a ainsi montré à travers des données relatives à plusieurs pays que les influences internationales peuvent affecter la pente de la courbe de Phillips. Pour autant, cette dernière n’est pas totalement plate : le degré de capacités inutilisées continue d’affecter l’inflation. 

Certains ont également suggéré que l’apparent aplatissement de la courbe de Phillips pouvait s’expliquait par l’existence de non-linéarités dans la relation entre la présence de capacités inexploitées et l’inflation. Par exemple, les entreprises pourraient être réticentes à laisser les prix baisser et les travailleurs réticents laisser les salaires nominaux baisser, ce qui se traduirait par une rigidité des prix et des salaires nominaux à la baisse (Akerlof et alii, 1996). Joseph Gagnon et Christopher Collins (2019) ont développé un modèle non linéaire où la courbe de Phillips est pentue, sauf pour de faibles niveaux d’inflation auxquels elle se révèle plate. Ils estiment que leur modèle de courbe de Phillips « coudée » explique aussi bien le comportement de l’inflation aux Etats-Unis qu’un modèle linéaire dans lequel la courbe de Phillips s’est aplatie.

Graphique 1. Courbe de Phillips pour une inflation élevée

Kristin Forbes, Joseph Gagnon et Christopher Collins (2020) ont testé ce modèle à partir des données relatives à un échantillon de 31 pays développés et émergents pour la période allant du premier trimestre 1996 au quatrième trimestre 1997. Lorsqu’ils contrôlent les périodes au cours desquelles la production est inférieure à son potentielle et l’inflation faible, en l’occurrence inférieure à 3 %, il apparaît que leur modèle de courbe de Phillips « coudée » explique mieux l’inflation globale et l’inflation sous-jacente que les modèles simples de la courbe de Phillips. Les résultats suggèrent aussi que la courbe de Phillips est plus pentue que ne le suggèrent habituellement les modèles linéaires. Selon les estimations de base, une baisse de 1 % des capacités inexploitées est associée à une hausse de 0,3 à 0,4 point de pourcentage de l’inflation dans la plupart des cas (cf. graphique 1). Mais si l’inflation est inférieure à 3 % et si la production est inférieure à son potentielle, alors la relation entre l’ampleur des capacités inutilisées et l’inflation s’avère quasiment nulle (cf. graphique 2). En outre, dans ce modèle non linéaire, les facteurs internationaux jouent un plus grand rôle dans l’explication de l’inflation globale et ce rôle semble s’être accru depuis la crise financière mondiale.

Graphique 2. Courbe de Phillips pour une faible inflation

De tels résultats éclairent le débat actuel autour de l’opportunité de maintenir l’économie en surchauffe, notamment aux Etats-Unis : dans la mesure où ils jugent le risque d’inflation réduit, certains appellent à maintenir les politiques conjoncturelles accommodantes lorsque l’économie est à son plein emploi pour continuer de réduire le chômage. Selon Forbes et ses coauteurs, il ne faut guère considérer comme assuré que la faible relation observée entre capacités inutilisées et inflation ces dernières années persiste à l’avenir. En l’occurrence, si le niveau de production se retrouve au-delà de son potentiel, il est probable que toute réduction supplémentaire des capacités inutilisées alimente l’inflation. 

 

Références

AKERLOF, George A., William T. DICKENS & George L. PERRY (1996), « The macroeconomics of low Inflation », Brookings Papers on Economic Activity.

FORBES, Kristin J. (2020), « Inflation dynamics: Dead, dormant, or determined abroad? », Brookings Papers on Economic Activity 

FORBES, Kristin J., Joseph E. GAGNON & Christopher G. COLLINS (2021), « Low inflation bends the Phillips curve around the world: Extended results », PIIE, working paper, n° 21-15.

GAGNON, Joseph E., & Christopher G. COLLINS (2019), « Low inflation bends the Phillips curve », PIIE, working paper, n° 19-6.